Jugement Forget 1993

JugementSLau-c-Demers.2

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Jugement André Forget

22 décembre 1993

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500-05-010987-939

1. L.R.Q., chap. Q-2

2. L.R.Q., chap. A-19.1

JF 0366

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

NO 500-05-010987-939

COUR SUPÉRIEURE

_________________________

Le 22 décembre 1993

_________________________

PRÉSIDENT : L'HONORABLE ANDRÉ FORGET, J.C.S.

_________________________

VILLE DE SAINT-LAURENT, corporation municipale dûment constituée ayant sa

principale place d'affaires à son Hôtel de Ville sis au 777, boul.

Laurentien, Saint-Laurent, district de Montréal,

Requérante

c.

PIERRE DEMERS, résidant et domicilié au 1200 rue Latour, Saint-Laurent,

district de Montréal,

Intimé

_________________________

JUGEMENT PRONONCÉ À L'AUDIENCE LE 26 NOVEMBRE 1993

Invoquant la Loi sur la qualité de l'environnement 1 et le Règlement

municipal sur les nuisances (numéro 924) ainsi que la Loi sur

l'aménagement et l'urbanisme 2 et le Règlement sur le zonage

(numéro1051), Ville Saint-Laurent (la Ville) veut contraindre Monsieur

Pierre Demers à enlever de son terrain la végétation sauvage et une

multitude d'objets hétéroclites qualifiés de nuisance par la ville.

Pour contrer cette procédure, Monsieur Demers invoque les Chartes, son

droit absolu de propriété, la valeur artistique des montages d'objets

installés sur son terrain, ses préoccupations d'ordre écologique et un

aménagement paysager selon ses goûts.

La situation a évolué depuis l'institution des procédures. En effet la

Ville a consenti à remettre l'audition de la requête en contrepartie d'un

engagement par Monsieur Demers de nettoyer les lieux et de se conformer à

la loi et à la réglementation municipale. De fait Monsieur Demers aurait

entrepris d'enlever une grande quantité d'objets pour satisfaire aux

exigences de la Ville. Monsieur Demers aurait toutefois négligé ou refusé

de compléter le travail entrepris et, selon l'avocat de la Ville, la

situation aurait même régressé, Monsieur Demers ayant déposé de nouveaux

objets sur son terrain.

_____________________

Actuellement les négociations entre les parties achoppent sur trois

points :

1) les étagères de bouteilles vides;

2) le compostage;

3) la végétation sauvage.

_____________________

L'avocat de Monsieur Demers a reconnu que Ville de Saint-Laurent avait

observé les formalités prescrites par la loi pour l'institution des

présentes procédures et le titre de propriété de Monsieur Demers est

également admis.

_____________________

Les parties ont choisi de ne pas faire entendre de témoins, se limitant

à verser au dossier divers documents et à déposer des déclarations

assermentées pour tenir lieu du témoignage de leur auteur.

En demande la Ville a déposé :

1) des extraits pertinents de la réglementation municipale;

2) des copies des procès-verbaux de dénonciations et de condamnations à

la Cour municipale;

3) des photographies prises les 3 juin 1993, 31 août 1993, 8 novembre

1993, et 19 novembre 1993;

4) une déclaration assermentée de Monsieur Michel Trépanier, inspecteur

en salubrité;

5) une déclaration assermentée de Monsieur Moshem Bishaï, chef de la

division Inspection.

En défense Monsieur Demers a déposé

1) des photographies prises les 29 septembre 1993 et 21 novembre 1993;

2) diverses brochures émanant notamment de la Ville de Montréal

concernant le compostage;

3) un ouvrage de 103 pages sous la signature de Monsieur Demers intitulé

"Couleurs et bouteilles dans un jardin" et se voulant, selon son auteur,

"un essai décrivant, dans la perspective des libertés fondamentales et de

l'écologie en milieu urbain, une installation muséologique d'intention

scientifique et éducative, faite dans un jardin avec des matériaux de

récupération qui se rattache au "Pop Art"".

_____________________

L'avocat de Monsieur Demers plaide que le Tribunal doit limiter son

examen à la situation prévalant au jour de l'audition, soit le 22

novembre 1993.

Bien que l'ordonnance du Tribunal doive viser la situation actuelle, il

est néanmoins important de prendre connaissance du contexte général pour

apprécier les arguments soumis de part et d1autre.

Ainsi on constate que les démêlés de Monsieur Demers avec la Ville de

Saint-Laurent remontent au moins à l'automne 1991 puisque les

procès-verbaux de la Cour municipale démontrent quatre condamnations pour

des infractions au règlement municipal sur les nuisances, la première

dénonciation étant datée du 15 octobre 1991 et la dernière du 19 août

1992.

Dans son essai déposé en preuve, Monsieur Demers déplore le manque de

préoccupation écologique du juge municipal, affirme qu'on ne lui a

jamais fourni les raisons de ses condamnations et se prétend victime en

quelque sorte d'un complot "kafkaïen". Le dossier ne fait toutefois pas

voir que Monsieur Demers en ait appelé des décisions de la Cour

municipale.

Ces jugements de la Cour municipale ne lient pas le présent juge,

D'autant plus que la Cour municipale se penchait sur la situation

prévalant à l'époque des plaintes. Le tribunal a déjà mentionné que cet

élément de preuve est examiné uniquement dans le contexte général avant

l'étude de la situation présente.

À titre de deuxième élément de contexte général, le Tribunal a examiné

les photographies prises en juin et en août 1993. Il serait fastidieux,

dans le cadre du présent jugement, de faire une description des lieux

telle que démontrée par ces photographies, mais on peut constater, de

toute évidence, à leur examen, que Monsieur Demers n'a pas que des

préoccupations artistiques et écologiques. Les photographies montrent des

chaises recouvertes de plastique, des sacs à rebuts, des parties de

lampes, une malle, des pelles à neige durant l1été, des matériaux de

construction, etc, etc.

L'avocat de Monsieur Demers reconnaît également qu'à une certaine époque

une odeur nauséabonde se dégageait des lieux et il attribue cette

situation à une erreur alors que son client avait laissé sur son terrain

du marc de raisin.

À nouveau le Tribunal réitère qu'il n'est pas question de rendre

jugement sur une situation passée mais plutôt de déterminer si les

prétentions artistiques et écologiques de Monsieur Demers sont fondées.

_____________________

Avant de se pencher sur les points en litige, il convient de citer les

articles pertinents de la loi et des règlements. La Loi sur l'aménagement

et l'urbanisme prévoit :

"113. Le conseil d'une municipalité peut adopter un règlement de zonage

pour l'ensemble ou partie de son territoire."

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs

des objets suivants :

.....

12o régir ou restreindre, par zone, l'excavation du sol, le déplacement

d'humus, la plantation et l'abattage d'arbres et tous travaux de déblai

ou de remblai; obliger tout propriétaire à garnir son terrain de gazon,

d'arbustes ou d'arbres;

.....

15o régir ou restreindre, par zone, l'emplacement, la hauteur et

l'entretien des clôtures, des murets, des haies, des arbustes et des

arbres;"

227. La Cour supérieure peut, sur requête de la municipalité régionale de

comté, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation :

1o d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec un

règlement de zonage, un règlement de lotissement ou un règlement de

construction;

2o d'une intervention faite à l'encontre du chapitre VI du titre I.

Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l'exécution des

travaux requis pour rendre l'utilisation du sol ou la construction

conforme à la loi et aux règlements ou, s'il n'existe pas d'autre remède

utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain."

 

La Loi sur la qualité de l'environnement prévoit :

"76. Toute municipalité est autorisée à faire effectuer toute enquête par

ses officiers pour rechercher s'il se trouve dans un immeuble des

nuisances ou des causes d'insalubrité. Le cas échéant, elle peut faire

procéder à l'assainissement nécessaire en la matière prévue aux articles

80 à 83.

76.1 Aux fins d'une enquête, l'officier peut entrer, à toute heure

raisonnable, dans un immeuble et l'inspecter pour vérifier s'il s'y

trouve des nuisances ou des causes d'insalubrité.

Sur demande, l'officier doit s'identifier et exhiber le certificat,

délivré par la municipalité, attestant sa qualité.

77. Toute personne qui constate l'existence d'une nuisance ou d'une cause

d'insalubrité dans un immeuble, peut adresser une plainte à cet effet à

la municipalité dans laquelle l'immeuble est situé.

78. Sur réception de la plainte, la municipalité doit faire procéder à

une enquête.

79. Le gouvernement peut désigner les municipalités dont les enquêteurs

possèdent, à l'égard des enquêtes prévues aux articles 76 et 78, les

pouvoirs qui sont conférés à un commissaire nommé en vertu de la Loi sur

les commissions d'enquête (chapitre C-37) aux fins de contraindre les

témoins à comparaître et à répondre.

80. Lorsque, à la suite d'une plainte ou des constatations de ses

officiers, la municipalité a reconnu qu'il existe dans un immeuble une

nuisance ou une cause d'insalubrité, elle fait parvenir une mise en

demeure au propriétaire ou à l'occupant de l'immeuble, lui enjoignant de

la faire disparaître ou de faire les travaux nécessaires pour empêcher

qu'elle ne se répète, et ce, dans un délai qu'elle détermine.

81. Si la mise en demeure dont il est question à l'article 80 n'est pas

suivie d'effet dans le délai qui y est mentionné, un juge de la Cour

supérieure siégeant dans le district où l'immeuble est situé, peut, sur

requête présentée même en cours d'instance, enjoindre au propriétaire ou

à l'occupant de l'immeuble de prendre les mesures requises pour faire

disparaître la nuisance ou la cause d'insalubrité dans un délai qu'il

détermine ou empêcher qu'elle ne se répète, et ordonner, qu'à défaut de

ce faire dans le délai prescrit, la municipalité pourra elle-même prendre

les mesures requises aux frais du propriétaire et de l'occupant.

Lorsque le propriétaire ou l'occupant de l'immeuble sont inconnus,

introuvables ou incertains, le juge peut autoriser le requérant à

prendre, sur-le-champ, les mesures requises pour remédier à la situation

et à en réclamer le coût du propriétaire ou de l'occupant.

Ces frais ou ces coûts sont assimilés à des taxes municipales.

82. Lorsqu'un immeuble est dans un état sérieux d'insalubrité ou est

détérioré au point de devenir inhabitable ou irréparable et constitue une

menace pour la santé ou la sécurité des personnes, un juge de la Cour

supérieure siégeant dans le district où l'immeuble est situé peut, sur

requête de la municipalité présentée même en cours d'instance et entendue

par préférence, ordonner l'évacuation de l'immeuble, en interdire

l'entrée, en ordonner la démolition ou enjoindre au propriétaire ou à

l'occupant de prendre les mesures requises pour assainir les lieux dans un

délai qu'il détermine et ordonner, qu'à défaut de ce faire dans le délai

prescrit, le requérant pourra lui-même prendre les mesures requises aux

frais du propriétaire et de l'occupant.

Quant à la réglementation municipale, le Tribunal réfère au règlement

numéro 924, article 2:

""MATIèRE NUISIBLE s'entend des déchets, chiffons, papiers, ballots,

vieux matériaux, débris de matériaux ou d'autres objets, carcasses

d'automobiles, bouteilles vides, appareils hors d'usage, ferraille,

broussailles, branches, mauvaises herbes, herbe folle, roches, eaux sales

ou stagnantes, animaux morts, fumier, matières malsaines, dangereuses ou

non conformes à l'hygiène publique, ou autres matières de nature à être

un danger pour la santé publique.

Le règlement 924-6 définit ainsi la "végétation sauvage" :

""VÉGÉTATION SAUVAGE" s'entend de l'herbe folle et des arbustes qui

croissent en abondance et sans culture."

Le règlement municipal 1051 contient les dispositions suivantes:

"5.6.1.1 Obligation de gazonner

Sur un terrain construit, la bande de terrain située dans la marge avant,

sauf pour un espace de stationnement, doit être gazonnée et peut faire

l'objet d'un aménagement paysager.

Autour d'un bâtiment, tout espace non construit d'un terrain doit être

gazonné ou faire l'objet d'un aménagement paysager.

Un aménagement paysager doit en tout temps être maintenu en bon état.

"5.6.1.2 Entretien d'un terrain

Tout terrain qu'il soit ou non construit doit être entretenu, maintenu en

bon état, exempt de broussailles ou de mauvaises herbes et exempt de tous

amas de débris, matériaux, ferrailles ou autres.

De même, il est permis de gazonner la partie de l'emprise de la rue

publique située entre le trottoir public et un terrain.

5.6.1.3 Amoncellement

Tout amoncellement de terre, de sable, de gravier, de pierre ou d'un

matériau similaire est prohibé sur le territoire de la Ville.

5.6.1.4 Aménagement extérieur ou en bordure d'un trottoir public

À l'exception de ce qui est spécifiquement autorisé en vertu d'une

disposition de ce règlement, tout aménagement de terrain, toute

construction ou tout équipement souterrain ou hors-terre est prohibé à

moins d'un mètre cinquante (1,50m) du trottoir public.

5.6.2 ACCES VÉHICULAIRES À UNE RUE PUBLIQUE

Le nombre d'accès véhiculaires à une rue publique est limité à deux (2)

par terrain, à moins d'indication contraire dans ce règlement.

Si le terrain est borné par plus d'une rue publique, le nombre d'accès

véhiculaires autorisé est applicable pour chacune des rues publiques."

Dans l'affaire Cité de Pointe-Claire c. Smith3, Monsieur le juge Jean

Crépeau a fait une revue de la loi, de la jurispridence et de la doctrine

dans le cadre d'un recours similaire à la présente affaire. Le tribunal

réfère à cette analyse et le présent juge adhère pleinement aux

conclusions

de Monsieur le juge Crépeau. Monsieur le juge Crépeau termine ainsi son

analyse:

(p. 14)

"Soulignons enfin que le Grand Larousse Universel définit "nuisance"

ainsi:

"1.- Tout facteur qui constitue un préjudice, une gêne, un désagrément

pour la santé, le bien-être, l'environnement. On distingue: ... les

nuisances acoustiques ... les nuisances acoustiques ... les nuisances

visuelles, dégradation des valeurs esthétiques du patrimoine naturel,

artistique ou culturel.""

Monsieur le juge Crépeau poursuit:

(p. 14)

"Une revue de la jurisprudence démontre que les tribunaux ont considéré

comme des "nuisances" des chiens, des animaux non domestiques tels

qu'écureuils, pigeons, qu'un citoyen attirait sur sa propriété, et toutes

les sortes de débris imaginables comme les carcasses d'autos, la

ferraille, le bois, la tôle, etc."

3 J. E. 93-449

Dans l'affaire dont il était saisi, les intimés plaidaient avoir aménagé

un jardin japonais d'inspiration boudhiste. Monsieur le juge Crépeau

conclut ainsi son étude de la preuve:

(p. 18)

"L'dée du défendeur de créer une sorte de jardin boudhiste ne pourrait

en soi et par définition constituer une nuisance. Mais l'utilisation

qu'il a faite de toute l'étendue du terrain entourant sa propriété avec

cette multitude de pièces de bois, briques, pierres, roches, poutres,

billes, sentiers, sculptures, fait en sorte qu'il a ruiné tout aspect

champêtre de son terrain. Le dégagement des racines, le creusage des

ruisseaux, l'établissement de sentiers en bois, constituent une insulte à

l'environnement. La surabondance de formes de bois, de sculptures

informes et d'autres éléments détruisent tout aspect artistique et

constituent un ensemble disgracieux, visuellement odieux.

L'ensemble constitue une véritable pollution visuelle, une dégradation

de l'environnement, un usage abusif de son terrain, et sans que le

Tribunal se porte juge du bon ou du mauvais goût de l'ensemble, il doit

reconnaître que cet ensemble innommable cause un préjudice sérieux aux

voisins dont les vastes terrains sont mitoyens."

Plus loin il ajoute:

(p. 20)

"L'environnement du quartier, ce sont les arbres, les pelouses, les

fleurs, les bosquets d'arbustes, mais tout cela, par l'oeuvre de l'intimé

est perturbé par l'implantation de structures difformes, illogiques et

vraisemblablement structuralement instables."

Le présent juge désire ajouter quelques commentaires généraux avant

d'aborder les questions particulières.

L'avocat de l'intimé, dans son argumentation, et l'intimé, dans son

essai, invoquent un droit quasi absolu de propriété. L'avocat de l'intimé

a terminé sa plaidoirie en affirmant que la résidence du citoyen est son

château. Cette conception est peu passéiste. Au départ la charte

canadienne n'a pas élevé au rang de droits et libertés fondamentales le

droit de propriété. Même si la charte québécoise protège à l'article 6 la

jouissance de ses biens, elle ajoute "sauf dans les cas prévus par la

loi". Ce qui n'est pas à dire que le droit de propriété n'est pas

important, mais il ne permet pas toujours de lever aussi haut les

étendards proclamant les droits fondamentaux.

La vie en société dans l'époque moderne, à plus forte raison en milieu

urbain, impose des contraintes et des restrictions; toute la

réglementation de zonage est fondée sur l'application de ces principes.

L'alignement des constructions, la hauteur des bâtiments, la finition des

façades sont autant de restrictions au droit de propriété. Certains y

voient des brimades, la majorité y voit le respect des droits des autres

citoyens. Les préoccupations écologiques actuelles, chères à l'intimé

comme à tous, y tirent également leur fondement: on ne pollue pas son

terrain pour ne pas polluer par le même effet celui des autres. Cette

pollution peut être visuelle, esthétique, odorante, etc.

Venons en aux points en litige.

Les étagères de bouteilles

Monsieur Demers y voit l'érection d'une oeuvre artistique. Il déplore

l'incompréhension dont furent victimes les artistes au cours de

l'histoire et laisse entendre que les gens qui n'apprécient pas ses

étagères de bouteilles seraient en quelque sorte des béotiens.

Le présent juge n'a pas l'intention de disputer à Monsieur Demers ses

prétentions artistiques; nul n'a le monopole du bon goût. Mais la

question n'est pas là. À l'intérieur de sa résidence, Monsieur Demers

peut construire et exposer les oeuvres de son choix. À l'extérieur,

toutefois, cet amoncellement de boîtes de légumes et de fruits, parfois jonchant le sol, parfois empilées comme des

étagères de rangement, est un entreposage disgracieux et, dans le

contexte de la loi, de la réglementation et de l'environnement urbain

constituent une nuisance. Si l'on accepte la théorie de Monsieur Demers,

tout propriétaire pourrait amonceler une quantité impressionnante

d'objets d'usage courant, tels bouteilles, boîtes de conserve, rebuts de

matériaux, sacs de polythène, qualifier le tout d'oeuvre artistique

d'inspiration "Pop Art", pour échapper à la réglementation provinciale et

municipale. Les villes pourraient devenir d'immenses dépotoirs à ciel

ouvert et la qualification d'artistique ne changerait rien à l'affaire.

Il est vrai que le juge municipal n'a pas exigé la destruction de l'un de

ces montages situé alors à l'arrière de la maison. Le présent juge a

déjà signalé qu'il n'était pas lié par cette décision, et, depuis,

l'étalage s'est poursuivi et ces boîtes de fruits sont maintenant

visibles de la rue.

Le Tribunal qualifie donc cet étalage de boîte et de bouteilles à usage

commercial de nuisance et en ordonnera l'enlèvement.

Le compostage

Le compostage n'est pas en soi une activité prohibée par la loi et la

réglementation municipale; tout au contraire, il s'agit d'une activité

fort louable. Mais encore là tout est dans la manière et la mesure.

L'examen des photos indique que l'intimé dépasse les bornes. Ainsi sur

les photos du 8 novembre on voit des sacs de polythène, utilisés pour les

déchets domestiques, répandus sur le terrain. Sur d'autres photos on

constate encore une fois un montage de boîtes remplies de feuilles ou

autres matières en décomposition.

L'examen de ces photos convainc également le Tribunal qu'il s'agit d'une

nuisance et ordre sera donné à l'intimé de s'en départir et de nettoyer

les lieux.

Végétation sauvage

Enfin il en est de même pour la végétation sauvage. Encore ici on peut

souhaiter un retour à la nature vierge, mais la réglementation urbaine en

dispose autrement. L'article 5.6.1.1. du réglement 1051 impose aux

propriétaires l'obligation de gazonner leur terrain dans la marge avant

sauf pour espace de stationnement. Le terme "gazon" doit s'entendre dans

son sens ordinaire. En l'espèce il n'y a pas de gazon mais une végétation

sauvage. Le règlement 924.6 définit ainsi la végétation sauvage: "l'herbe

folle et les arbustes qui croissent en abondance et sans culture".

Tel est l'état du terrain de Monsieur Demers.

L'article 5.6.1.1 permet "un aménagement paysager"; l'article ajoute que

cet "aménagement paysager" doit en tout temps être maintenu en bon état".

L'intimé plaide que la végétation sauvage constitue un aménagement. Le

mot "aménagement" dans son sens commun est synonyme d'organisation et de

réglementation. Le Petit Robert en donne notamment la définition

suivante:

"Réglementation des coupes, de l'exploitation des forêts."

Le mot "aménagement" et le mot "sauvage" réfèrent donc à des notions

opposées.

L'intimé doit donc se conformer à la réglementation municipale en

enlevant ces herbes sauvages, sauf dans le cadre d'un aménagement

paysager.

Le Président du Tribunal réitère que le présent jugement ne constitue pas

une critique sur la conduite de l'intimé ni un jugement de valeur sur ses

goûts. Toutefois la collectivité, par l'intermédiaire des lois et des

réglements, impose des normes et l'intimé, comme tout autre citoyen, doit

s'y soumettre.

________________________

Les deux conclusions relatives à l'enlèvement des étagères de bouteilles

et à l'installation de compostage peuvent être exécutées à bref délai;

aussi un délai de trente jours sera accordé à l'intimé; quant au

gazonnement il sera accordé un délai jusqu'au 15 mai 1994 compte tenu de

la saison.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ORDONNE à l'intimé, dans les trente (30) jours du jugement à intervenir,

de prendre les mesures nécessaires pour enlever de son terrain la

végétation sauvage, les boîtes de bois, les planches, les briques, les

boîtes de bois remplies de bouteilles vides, les valises, les lampes, les

sacs de polythène, le coffre, les feuilles mortes, la paille et tous

autres objets sans aucune exception situés sur la propriété ainsi

désignée :

"UN emplacement situé au coin des rues Rochon et Latour, en la Ville de

St-Laurent, Q.Q. connu et désigné sous le numéro QUATRE-VINGT-DIX-SEPT de

la subdivision officielle du lot originaire No DEUX-CENT-CINQUANTE-SEPT

(257-97) des plan et livre de renvoi officiels de la Paroisse St-Laurent;

mesurant cinquante-sept pieds de largeur par quatre-vingt-sept pieds de

profondeur, mesure anglaise et plus ou moins.

AVEC bâtisses dessus érigées, portant le numéro civique 1200 de la dite

rue Latour, et toutes dépendances y attachées.

TEL que le tout se trouve actuellement, avec toutes les servitudes

actives et passives, apparentes ou occultes attachées au dit immeuble,

sans réserve, et notamment à une servitude de droit de passage sur

l'arrière partie de l'emplacement ci-dessus décrit, en faveur de THE BELL

TELEPHONE COMPANY OF CANADA, telle qu'établie aux termes d'un acte de

servitude entre cette dernière et BOURGET CONSTRUCTION INC.";

ORDONNE à l'intimé de gazonner les bandes de terrain situées dans les

marges avant et de gazonner et de créer un aménagement paysager sur tout

autre espace non construit du terrain plus haut désigné se situant autour

du bâtiment, le tout conformément au réglement 1051 de la Ville de

Saint-Laurent, et ce d'ici le 15 mai 1994;

ORDONNE à l'intimé de prendre toutes les mesures nécessaires pour

empêcher que les nuisances faisant l'objet de la présente requête ne se

répètent;

Au cas de défaut de l'intimé d'agir dans les délais fixés par la Cour,

AUTORISE la requérante à prendre elle-même, aux frais de l'intimé, toutes

les mesures requises pour donner suite au jugement sur la présente

requête;

LE TOUT AVEC ENTIERS DÉPENS CONTRE L'INTIMÉ.

(signé)

ANDRÉ FORGET, J.C.S.

AF/dl

Procureur de la requérante

me Pierre-Yves Leduc

(Langlois, Robert)

Tour Scotia

1002 rue Sherbrooke ouest, 28e étage

Montréal, Québec - H3A 3L6

Procureur de l'intimé

Me Luc Trempe

(Pasquin & Associés)

4 est rue Notre-Dame, bureau 401

Montréal, Québec - H2Y 1B7

JF 0366 23 pages

Pcc : Pierre Demers