JugFournier95

Jugement Fournier 1995

Canada

Cour municipale

Province de Québec

District de Montréal

Ville Saint-Laurent

Nos. : 105-389

105-390

105-391

105-392

105-393

105-394

Ce 1er juin 1995

Président :

Juge Yves Fournier

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Ville Saint-Laurent,

Poursuivante

-VS-

Pierre Demers,

défendeur-et-

Procureur général du Québec,

mis-en-cause

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Jugement

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Le défendeur est accusé dans les six (6) dossiers d'avoir, à des dates différentes,:

"laissé des odeurs nauséabondes se dégager d'un amas de compostage causant nuisance aux voisins, en contravention au règlement municipal 924, article 6.10.#

Un avis selon l'article 95 du Code de procédure civile fut signifié au Procureur général du Québec dans lequel il est présenté principalement :

"PRENEZ AVIS QUE, par sa défense en cette cause, le défendeur met en question la constitutionnalité du règlement municipal 924 art. 6.10 et que l'audition de cette cause a été fixée au 4 mai 1995, à 9:30 heures, ou dès que pourra être entendu, devant la Cour municipale, siégeant au 405 de l'Église. Les prétentions du défendeur et ses arguments sont à l'effet que le règlement est invalide pour cause d'imprécision et est aussi illégalement attributif de discrétion.

En effet, ainsi que la lecture dudit règlement (voir annexe #1) le démontrera aisément, ce dernier est beaucoup trop vague et imprécis en ce qu'il ne spécifie aucunement l'interdiction qu'il est censé viser dans sa première partie.

La deuxième partie du règlement est trop vague quant on parle de disposition - de quelle(s) loi(s) parle-t-on? (fédéral, provincial, municipal?)

Le fait que le règlement soit constitué de deux parties indépendantes contribue également à la confusion.

Le fait de dire "tout état de chose ou de fait" est si vague et ouvre la porte à une quantité innombrable d'interprétations, de telle sorte qu'elle permet une interprétation si large à tout fonctionnaire municipal qu'il ne peut être autre qu'attributif de discrétion."

Par sa requête préliminaire, le procureur du défendeur demande le rejet des actes d'accusations, au motif que le règlement municipal serait invalide en raison de son imprécision et, en conséquence, conférant une pouvoir discrétionnaire au fonctionnaire municipal.

L'article 6.10 dudit règlement municipal édicte :

"6.- Constituent des nuisances et sont prohibés :

...

6.10 tout état de choses ou de fait, qui trouble ou menace de fait, ou est en violation d'une disposition concernant la santé ou la sécurité publique."

Les procureurs de chaque partie ont fourni au Tribunal doctrine et jurisprudence à l'appui de leur prétention.

PRÉSOMPTION DE VALIDITÉ D'UN REGLEMENT MUNICIPAL

Les auteurs et nos tribunaux ont affirmé à plusieurs reprises que les règlements municipaux bénéficient de la présomption de validité et c'est à celui qui attaque la validité d'un règlement de prouver ses intentions.

Les auteurs François Chevrette et Hébert Marx, s'exprimaient ainsi dans Droit constitutionnel, notes et jurisprudence, 1982, Presses de l'Université de Montréal à la page 310 :

"Un important principe de droit constitutionnel veut que les lois et règlements soient présumés valides jusqu'à ce qu'un jugement établisse le contraire. Ce principe a plusieurs conséquences. C'est à la partie qui allègue l'inconstitutionnalité d'en faire la preuve.... Le principe de présomption de constitutionnalité implique aussi que, dans la mesure où il est possible d'interpréter une loi ou un règlement de façon qu'il soit intra vires, c'est là l'interprétation qu'il faut choisir, ..."

De fait, l'article 634 de la Loi sur les cités et villes , cristallise cette notion :

"634. [Durée des règlements] Les règlements sont exécutoires et restent en vigueur jusqu'à ce qu'ils soient remplacés, abrogés ou cassés par une autorité compétente, ou jusqu'à l'expiration de la période pour laquelle ils ont été adoptés S.R. 1964, c. 193, a. 393; 1982 c. 63, a. 129."

Sous la plume du juge Turgeon, la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Fisette c. Ville de Beloeil, (1976), C.A., 628, s'exprimait ainsi :

"Avant d'entreprendre l'étude du mérite de la première question que soulève l'appel, il est utile de rappeler que c'est sur celui qui attaque la validité d'une législation que repose le fardeau d'établir sa prétention, car il existe une présomption de validité de toute législation et les Tribunaux ne peuvent présumer qu'une autorité a excédé la cadre de sa juridiction. Dans le cas de doute relativement à la validité d'une législation attaquée, lorsqu'elle est susceptible de deux interprétations, il faut décider en faveur de la validité." (p. 629)

Ce raisonnement se rattache à la présomption qu'en légiférant, le tenant du pouvoir législatif n'a pas eu l'intention de s'émiscer dans une matière qui n'est pas de son ressort. La Cour d'appel a rappelé la décision de notre Cour suprême dans In the matter of a reference respecting the Farm Products Marketing Act, R.S.O, 1950, c. 131 as amended, (1957), R.C.S., lorsque le juge Fauteux écrivait à la page 255 :

"There is a "presumptio juris" as to the existence of a bona fide intention of a legislative body to confine itself to its own sphere and a presumption of a similar nature that general words in a statute are not intended to extend its operation beyond the territorial autority of the Legislature. These presumptions are not displaced by the language used in the relevant legislative provisions applicable to this scheme when read as a whole."

CONTRÔLE DE LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION DU CONSEIL MUNICIPAL

Cette autre notion se rattache au fait que les tribunaux ne peuvent contrôler l'opportunité ou la sagesse de la décision d'un conseil municipal, mais seulement sa légalité.

Le juge Beetz écrivait dans Ville de Montréal c. Arcade Amusements In., (1985), 1 R.d.C. 368, à la page 395 :

"[la règlementation est] une question de jugement qui relève éminemment du législateur. En se substituant sur ce point au Conseil municipal et en portant "un jugement de valeur sur la sagesse de la disposition", la Cour d'appel tombe précisément dans l'erreur contre la quelle elle se met en garde. Si par ailleurs la Cour d'appel ne peut, comme elle le dit, trouver d'explication à la disposition en litige, elle doit présumer que celle-ci a été adoptée de bonne foi dans l'intérêt public, et la tenir pour valide plutôt qu'inexplicable et abusive."

DÉFINITION D'UNE NUISANCE

La jurisprudence a défini à certaines reprises cette notion de nuisance.

Dans l'arrêt Anctil c. Cour municipale de La Pocatière (1973) C.S. 238, le juge Gendreau proposait l'énoncé suivant (page 244) :

"La première caractéristique

d'une nuisance est de produire des inconvénients sérieux ou de porter atteinte, soit à la santé publique, ou soit au bien-être de la communauté, ou d'une partie de la communauté. Cet élément nuisible, qu'il provienne d'un état de chose ou d'un acte illégal ou de l'usage abusif d'un objet ou d'un droit, a toujours un certain caractère de continuité et est intimement lié à la chose ou à l'acte."

Dans l'arrêt Beach c. Municipalité de Perkins, (1976), C.S. 85, il était reformulé la même notion en ces termes (page 88) :

"Or "une nuisance" peut être l'existence même d'un objet, cela est évident : par exemple, des détritus nauséabonds ou des substances inflammables. D'autre part, ce caractère peut ne s'attacher qu'à l'usage qu'on fait d'une chose. Dans ce dernier cas, ce n'est pas l'existence même de l'objet qui constitue la nuisance, c'est l'abus que l'on en pratique et qui cause la nuisance."

Puis, plus récemment notre Cour d'appel, en se référant à une jurisprudence constante édictait dans l'arrêt St-Michel-Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec Inc. (1992) R.J.Q. 875, à la page 880 :

"Une nuisance peut être l'existence même d'un objet, par exemple, un dépotoir non règlementaire ou des déchets sur un terrain. Une nuisance peut provenir aussi de l'usage abusif d'un objet. Il faut alors déterminer dans quelle mesure l'utilisation de cet objet est nuisible pour les tiers ou encore se demander si la nuisance créée par le règlement en est une véritable."

(souligné de la Cour)

REGLEMENT VAGUE ET IMPRÉCIS

Les auteurs nous rappellent, sans détour, qu'un règlement ne peut être vague ou imprécis.

Pour Pierre-André Côté, dans un article intitulé, Les règlement municipal indéterminé, R. du B., T. 3, nov. 1973, 474 écrivait :

"Le citoyen confronté à un règlement rédigé de manière imprécise se trouve dans une situation analogue à celle du citoyen affecté par un règlement attributif de discrétion, car dans les deux cas, il est impossible de déterminer exactement la portée du règlement à sa simple lecture. Dans les deux cas, le règlement ne réglemente pas.

D'ailleurs, si l'on y regarde de plus près, le règlement rédigé de manière imprécise est d'une certaine manière un règlement attributif de discrétion car, dans la mesure où le règlement est imprécis, il devra être précisé lors de sa mise en vigueur et ce processus de précision suppose l'exercice d'une discrétion illégale. Par exemple, l'officier chargé d'appliquer un règlement imprécis se voit investi du pouvoir de préciser le règlement, et donc de légiférer, ce qui, nous l'avons vu, constitue une délégation illégale de pouvoirs."

Halsbury's Law of England, 4e éd., (1973). vol. 28, p. 731 :

"951. Bye-laws must be certain. A bye-law must provide a clear stratement of the course of action which it requires to be followed or avoided, and must contain adequate information as to the duties and identity of those who are to obey, although all the information need not be apparent on the face of the bye-laws. The language used should be certain and definite, should give all necessary details, and should not contain vague conditions rendering compliance dependent upon the authority's approval of the circumstances of the particular case."

(soulignés de la Cour)

Patrice Garant, dans Droit administratif, Ed. Yvon Blais inc. (1981), p. 319, formule dans le même sens les critères d'un règlement qui se veut imprécis :

"Le règlement vague ou indéterminé est considéré par plusieurs comme n'étant qu'une forme d'un règlement attributif de discrétion. Si le contenu normatif est insuffisant ou déficient, le règlement attribue à toute fin pratique un pouvoir discrétionnaire à l'autorité qu'aura à appliquer ce règlement."

Dans Développements récents en droit municipal (1995), aux Éditions Yvon Blais Inc., tout en se référant à la jurisprudence, Me Daniel Chénard nous indique aux pages 192-193 :

"Le règlement ne doit pas simplement reproduire le texte des dispositions législatives habilitantes, mais il doit établir des normes qui lui sont propres.

Il se pourra que le règlement puisse causer un problème d'interprétation. Par contre, si le langage du texte règlementaire est assez explicite pour que les règles d'interprétation usuelles permettent d'en saisir l'intention du législateur et d'en déterminer les paramètres d'application, le règlement rencontrera le texte."

(soulignés de la Cour)

Quant à la jurisprudence, celle-ci déborde d'exemples et elle nous a apportés les règles à utiliser pour chacune des situations.

La Cour suprême dans l'arrêt Vic Restaurant c. Cité de Montréal, (1959) 1 R.D.C. 58, affirmait que si un pouvoir de sous délégation est un devoir, c'est-à-dire un pouvoir ne permettant pas de discrétion, la sous-délégation est redevable à la condition que des normes écrites suffisamment précises soient émises pour guider le décideur.

Deux décisions importantes ont reconnu l'exigence de cet encadrement normatif raisonnable.

RE : Forget c. Québec, (1988) 2 R.S.C. 90

C.S.S.T. c. Groupe Lechasseur, (1988) R.J.Q. 613

Dans ce dernier arrêt la Cour d'appel nous parle d'un "number of reasonable explicit rules and requirements for the evaluation of prevention programs."

Le règlement qui se veut vague et imprécis peut être une cause de nullité. La jurisprudence cible maintenant cette situation vers l'administré qui faisant face à un tel règlement doit comprendre pour ainsi mesurer la portée des droits et obligations qu'il énonce.

La Cour suprême a de nouveau précisé la règle dans Montréal c. Arcade Amusements In., en édictant qu'il faut s'entendre sur le genre et le degré d'imprécision nécessaires et qu'une simple incertitude sur le champ d'application n'est pas suffisant pour déboucher sur la nullité.

Dans cet arrêt, il sera énoncé avec justesse à la page 401 :

"Chaque cas est pratiquement un cas d'espèce et il incombe aux tribunaux de déterminer à chaque fois si le sens véritable de règlement en question peut être perçu par les citoyens auxquels il s'adresse."

Je considère que la protection du citoyen exige un encadrement normatif sans lequel l'abus de pouvoir et l'arbitraire sont trop dangereux. ce qu'il faut éviter et prévenir c'est l'abus d'un pouvoir éminent.

Le plus haut tribunal du pays, dans le Renvoi sur la prostitution, (1990) 1 R.C.S. 1122, a distingué deux types de dispositions imprécises se rattachant à la préoccupation reliée à la primauté du droit.

Le juge Lamer énonçait celle qui ne donne pas au citoyen un avertissement raisonnable et la disposition qui n'encadre pas suffisamment le pouvoir discrétionnaire du préposé chargé de faire appliquer la législation.

Le même tribunal dans Comité pour la république du Canada c. Canada, (1991) 1 R.C.S. 139 a reconnu qu'un texte qui ne prévoit pas de normes intelligibles ou un texte qui se veut tellement imprécis, qu'il devient incompréhensible, n'est pas conforme aux principes portant que la restriction d'une liberté ou d'une droit doit être prescrite par une règle de droit.

Le juge Sopinka dans Osborne c. Canada, (1991) 2. R.C.S. 69, a indiqué que la théorie de l'imprécision peut être sur deux plans.

D'abord une législation peut se montrer imprécise sous deux (2) formes à savoir le caractère général du pouvoir discrétionnaire accordé au titulaire dudit pouvoir ainsi que par l'utilisation d'une phraséologie si obscure que les règles générales ne permettent pas de lui donner une interprétation suffisamment précise.

Le second plan est celui où l'imprécision pourrait paralyser ses effets si elle ne peut résister au critère de la raisonnabilité de l'article premier de la Charte.

Le juge Mayrand, dans l'affaire Ville de Lachine c. Gilles Poirier, (1990) R.J.Q. 1426, énonçait à la page 1431 :

"Traitant de l'imprécision du règlement, il est admis comme principe de base qu'un citoyen, en lisant un règlement, doit savoir ce qu'il peut faire et ce qu'il ne peut pas faire. Il faut que le règlement soit clair, soit précis et contienne une norme qu'un homme raisonnable peut facilement comprendre. il faut que, à la lecture d'un article, un citoyen soit raisonnablement fixé sur l'étendue de ses droits et obligations.

Lorsqu'un règlement comporte des difficultés techniques d'interprétation relatives par exemple à des règlements en matière de pollution ou des règlements en matière de salubrité qui font appel à des notions qui ne sont pas faciles, il est évident que, à ce moment-là, le règlement doit avoir plus de précision pour permettre à un citoyen de connaître l'étendue de ses droits.!

(soulignés de la Cour."

Le juge Gonthier, dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, (1992) 2 R.C.S. 606, s'est permis de faire l'historique de la jurisprudence sous les différents aspects découlant de la théorie de l'imprécision. Certains passages méritent attention.

Ainsi. à la page 630, traitant de la "portée excessive", il écrit :

"Le rapport entre l'imprécision et la "portée excessive" a été bien exposé par la Cour d'appel de l'Ontario dans ce passage souvent repris de l'arrêt R. c. Zundel (1987), 58 O.R. (2d) 129, aux pp. 157 et 158 :

[TRADUCTION] L'imprécision et la portée excessive d'une loi sont deux notions. Elles peuvent être appliquées séparément ou elles peuvent être intimement liées. L'effet recherché d'une loi peut être parfaitement clair et donc ne pas être vague, et pourtant son application peut être trop large. Par ailleurs, pour illustrer le fait que les deux notions peuvent être intimement liées, le libellé d'une loi peut être tellement imprécis qu'on juge son effet trop large.

Je suis d'accord. Une loi imprécise peut aussi constituer une atteinte excessive à des droits garantis par la Charte selon le critère énoncé dans l'arrêt Oakes. Notre Cour l'a reconnu quand elle a mentionné les deux aspects de l'imprécision au regard de l'article premier de la Charte dans les arrêts Osborne et Butler."

Plus loin il développe la disposition imprécise, dans ces termes (pages 639-640) :

"Une disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c'est-à-dire pour trancher quant à sa signification à la suite d'une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc pas fournir ni d'avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation au pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi. Une telle disposition n'est pas intelligible., pour reprendre la terminologie de notre Cour, et ne donne pas suffisamment d'indication susceptible d'alimenter un débat judiciaire. Elle ne donne aucune prise au pouvoir judiciaire. C'est là une norme exigeante, qui va au-delà de la sémantique. Le terme "débat judiciaire" n'est pas utilisé ici pour exprimer une nouvelle norme ou pour s'écarter de celle que notre Cour a déjà énoncée. Au contraire, elle traduit et englobe la même norme et le même critère d'avertissement raisonnable et de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi considérée dans le contexte plus global d'une analyse de la qualité et des limites de la connaissance et de la compréhension qu'ont les particuliers de l'application de la loi."

(soulignés de la Cour)

Et également à la page 642 :

"Ce qui fait plus problème, ce ne sont pas tant des termes généraux conférant un large pouvoir discrétionnaire, que des termes qui ne donnent pas, quant au mode d'exercice de ce pouvoir, d'indications permettant de la contrôler. Encore une fois, une loi d'une imprécision inacceptable ne fournit pas un fondement suffisant pour un débat judiciaire; elle ne donne pas suffisamment d'indication quant à la manière dont les décisions doivent être prises, tels les facteurs dont il faut tenir compte ou les éléments déterminants. En donnant un pouvoir discrétionnaire qui laisse toute latitude, elle prive le pouvoir judiciaire de moyens de contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire. La nécessité d'énoncer des lignes directrices concernant l'exercice du pouvoir discrétionnaire a été au centre des motifs de la CEDH dans l'affaire Malone, précitée, aux pp. 32 et 33, et dans l'affaire Leander, arrêt du 26 mars 1987, série A no 116, à la p. 23."

(soulignés de la Cour)

et finalement à la page 643 :

"La théorie de l'imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante : une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Cet énoncé de la théorie est le plus conforme aux principes de la primauté du droit dans l'État moderne et il reflète l'économie actuelle du système de l'administration de la justice, qui réside dans le débat contradictoire."

(souligné de la Cour)

À partir de cette étude doctrinale et jurisprudentielle, il y a lieu d'étudier les arguments de la partie défenderesse.

ANALYSE DES ARGUMENTS

Dans un premier temps, il est avancé que l'article 6.10 du règlement municipal est constitué de deux parties indépendantes.

Cette approche est basée sur la rédaction même dudit article qui semble boiteuse par l'utilisation d'une ponctuation et d'une conjonction de subordination.

Il est assez évident que si l'on fait du texte :

"tout état de chose ou de fait, qui trouble ou menace de fait, ..."

une partie distincte et complète en soi, celle-ci se veut tout à fait imprécise car elle n'encadre rien ou encadre tout et j'ajouterai est vide de substance.

Quant au second argument, il traite de l'imprécision des termes :

"... ou est en violation d'une disposition concernant la santé ou la sécurité publique."

Le Tribunal a requis du procureur de la municipalité, si cet article faisait référence à une loi particulière. Ce dernier a répondu par la négative.

Face à une telle situation, il y a lieu de se demander, et ce même si l'article 6.10 ne formait qu'un tout, si ce qui est défini et défendu est suffisamment précis.

En second lieu, les notions de santé et de sécurité publique sont démesurément trop larges et imprécises.

Je ne peux qu'indiquer que la latitude au pouvoir discrétionnaire accordé à l'autorité compétente chargée de l'application du présent règlement prive le Tribunal de contrôler l'exercice de ce pouvoir.

L'absence totale de précisions fait en sorte que l'on doit s'en remettre entièrement à l'évaluation subjective des individus chargés de faire respecter ce règlement et/ou l'article en cause.

Qui plus est, l'article 6.10 bien que loyable ne fournit pas d'encadrement suffisant ni de paramètre assez précis pouvant permettre à tout individu de régler sa conduite.

Le Tribunal considère approprié de tracer un parallèle avec l'arrêt Miron c. La Reine, (1979) C.A. 36 rendu par la Cour d'appel du Québec qui s'est penchée sur cette notion à la lumière d'un règlement adopté par la Communauté Urbaine de Montréal interdisant :

"de répandre dans l'atmosphère de quelque source que ce soit, volontairement ou non, des matières qui polluent l'atmosphère et portent atteinte à la vie, à la sécurité, à la santé, à la propriété ou au confort du public, ou qui entravent l'exercice ou la jouissance de droits communs.

Il m'apparaît que cet article se montre plus articulé, plus précis et plus "généreux" que celui en cause. Malgré ce fait, l'opinion majoritaire de la Cour d'appel estima que le règlement était vague et imprécis et devait rappeler les principes fondamentaux suivants (pages 38-39) :

"En matière de droit public, on doit résister à la tendance de proclamer que la loi ou la réglementation se doivent d'être générales et abstraites et à laisser à la lumière et à la jurisprudence des juges le soin de déterminer le champ d'application des dispositions législatives et réglementaires. Certes, il n'est pas souhaitable - si tant est que la réussite puisse en être assurée - de tracer avec une netteté parfaite la ligne de démarcation entre toutes les situations de fait susceptibles de se présenter dans l'avenir immédiat ou dans le futur. Mais n'est-ce pas de l'angélisme plutôt que de la réglementation que de tenter de réprimer les abus en édictant qu'il ne faut pas polluer l'atmosphère, sans quoi la population ne pourra se procurer un air sain?

Point n'est besoin de compter à l'unité. quelle qu'elle soit (comp. alcooltest), pour que règne une forme d'harmonieuse sécurité. Mais encore faut-il, en matière de droit public, que l'autorité législative - surtout si elle est déléguée - légifère véritablement de sorte que Tribunaux appliquent aux citoyens éclairés ou du moins instruits des normes établies par un pouvoir qui n'est le pouvoir judiciaire."

Dans le présent cas, la phraséologie employée "santé et sécurité publique" amplifie l'imprécision par le conjonctif.

Ces termes, même pris séparément, débouchent sur un risque voulant que même un préposé de bonne foi puisse fonder ses décisions sur des critères subjectifs ou empiriques, situation qu'il faut empêcher et éviter.

La latitude d'appréciation donnée à l'inspecteur est susceptible aussi de donner ouverture à des abus et des injustices alors que la portée exacte de l'article 6.10 peut varier selon les circonstances ou même selon son jugement.

L'inspecteur ou le fonctionnaire de la municipalité est un exécutant et non l'interprète des volontés de l'autorité et le libellé d'un règlement ne doit pas laisser place à l'arbitraire et à la subjectivité et ce règlement ne peut placer le citoyen devant ce niveau d'incertitude.

À la lumière des principes dégagés par la jurisprudence et la doctrine relativement à l'imprécision, le Tribunal doit reconnaître que la terminologie employée dans l'article 6.10 du règlement 924 est suffisamment imprécise pour empêcher un citoyen ordinaire raisonnablement intelligent de connaître l'étendue de ses obligations supposément prévues dans celui-ci.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE inopérant parce que vague, imprécis et arbitraire l'article 6.10 du règlement 924 de la poursuivante et,

REJETTE les chefs d'accusation portés en rapport avec cet article.

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YVES FOURNIER

JUGE MUNICIPAL

Me Pierre-Yves Leduc

Procureur de la poursuivante

Me Luc Trempe

Procureur du défendeur

(tamponné) COPIE CERTIFIÉE CONFORME (...) GREFFIER

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pcc Pierre Demers 15 juillet 2001

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