Landry au Devoir

Bernard Landry au Devoir

Robert Dutrisac

Kathleen Lévesque

Le mardi 29 mai 2001

Le premier ministre Bernard Landry ne craint pas

d'être écorché par l'émergence d'une coalition de

gauche lors des prochaines élections générales, sûr

que la gauche, c'est le Parti québécois.

"Le parti de la gauche au Québec, pas celui qui

rêve de la gauche, celui qui la fait, c'est le parti

fondé par René Lévesque. Le parti qui est près des

centrales syndicales, en particulier, le parti qui a fait l'équité salariale, qui a fait la

politique familiale, qui a fait la clause d'appauvrissement zéro, qui a maintenu notre

réseau de solidarité sociale d'une façon extraordinaire, plus stimulant à aller au travail et

à reprendre les études et à se réinsérer. Tout ça, c'est le Parti québécois", a déclaré en

entrevue hier au Devoir, M. Landry.

Devant une certaine mobilisation des différents partis politiques de gauche, des

organismes communautaires et des syndicats, notamment dans une rare coalition qui a

arraché 24 % des voix lors de l'élection complémentaire de Mercier en avril dernier,

Bernard Landry se montre prêt à affronter "la démocratie et ses forces vives". Il

n'envisage toutefois pas de modification au mode de scrutin actuel avec l'introduction

d'une formule de représentation proportionnelle afin de favoriser l'expression de toutes

les tendances. L'accession à la souveraineté apparaît comme un préalable à une telle

réforme.

Entre-temps, Bernard Landry estime que le débat soulevé par la gauche est sain et force

des changements. "Un parti qui est progressiste a l'instinct de vouloir le rester et d'être le

plus à l'avant-garde possible. C'est une des raisons pour laquelle d'ailleurs on a pris ce

virage explicite de lutte contre la pauvreté", a affirmé le premier ministre.

Le ministre Jean Rochon a reçu le mandat de présenter un plan d'action "sans précédent"

de lutte contre la pauvreté. Pour M. Landry, cette offensive ne doit pas seulement se

présenter en termes de répartition de la richesse. Elle prend également forme dans le

dernier budget par la création d'emplois, le soutien aux régions, les investissements en

éducation et la baisse d'impôt. Refusant de préciser un échéancier pour la mise en place

de la stratégie anti-pauvreté, Bernard Landry souligne qu'il s'attend à des actions

concrètes et très ciblées.

Il ne s'avance toutefois pas sur le terrain des libéraux de Jean Charest qui se sont

engagés à indexer automatiquement les prestations d'aide sociale et surtout à établir un

barème plancher qui soit à l'abri des pénalités. M. Landry préfère ironiser sur le virage

progressiste du Parti libéral du Québec. "Le plus sincère des compliments, c'est l'imitation.

S'ils sentent le besoin de virer à gauche, c'est qu'on y est déjà. Comme on a occupé

totalement le terrain de la bonne gestion des finances publiques, de la restructuration et

du développement de l'économie, qui avait été prétendument leur marque de commerce

dans le passé, il ne leur restait plus grand-chose; ils sont obligés de nous suivre sur notre

terrain qui est celui du progrès social", fait-il valoir.

Pour l'instant, le gouvernement doit terminer sa réflexion sur le plan Rochon, "avant de

prendre une orientation politique décisive". Dans ce contexte, un barème plancher,

réclamé par le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté, n'est

vraisemblablement pas au programme du Parti québécois pour l'instant. Il en va de même

pour l'idée d'un revenu minimum garanti, dont les coûts seraient faramineux mais qui

demeure "au plan intellectuel, une chose qui doit être regardée".

"On a à peu près l'équivalent dans nos politiques actuelles, a commenté M. Landry en se

référant au barème plancher. Mais on peut toujours les raffiner. Toutes les bonnes idées

sont les bienvenues, On n'a jamais été en retrait sur le plan social. Et on va faire ce qu'il

faut pour ne pas l'être."

Mais la société aura des choix à faire et c'est également vrai dans le délicat dossier de la

santé. Pour le premier ministre, qui minimise la pénurie d'infirmières dans les hôpitaux, le

problème du réseau de la santé est d'abord un problème sur le terrain de gestion et de

corporatisme des médecins. M. Landry soulève la question de l'imposition d'un plafond

budgétaire. "Il n'y a pas de solution simpliste. Ça prend beaucoup d'argent, tranche-t-il. Il

y a un arbitrage à faire dans notre société. Est-ce qu'on voudrait que les dépenses de

l'État montent à 60 % en santé, refoulant du même coup éducation, aide sociale, justice,

voirie? C'est d'un réalisme extrême cette affaire-là"

Invité à commenter les premiers mois passés aux commandes de l'État québécois,

Bernard Landry a parlé d'"un gouvernement de consolidation et de raffinement" des

réformes déjà amorcées, des réformes qui ont demandé "un courage considérable" mais

qui doivent "donner aux contribuables le meilleur rendement possible".

Le premier ministre est revenu sur le thème du déséquilibre fiscal. Québec poursuivra la

même politique intergouvernementale qu'il a menée pour réclamer d'Ottawa le

rétablissement partiel du transfert social canadien affecté à la santé. Son gouvernement

participe du front commun des provinces pour forcer le gouvernement fédéral à consentir

à un nouveau partage fiscal. Il faut que tout le monde se mobilise autour de ce "mantra

universellement accepté" par les provinces qui veut que l'argent soit à Ottawa et les

besoins dans les provinces, estime-t-il.

Mais M. Landry a exclu toute action unilatérale de la part de son gouvernement afin de

donner le change aux intrusions fédérales dans les champs de compétence du Québec.

Ainsi il n'est pas question que Québec, à défaut d'une entente plus qu'improbable avec

Ottawa, fasse cavalier seul en instaurant son propre régime d'assurance parentale. Le

programme qu'un projet de loi consacre et qui fait consensus au Québec demeurera donc

lettre morte.

Le rapport de force du Québec, c'est par l'option souverainiste qu'il passe, a assuré M.

Landry. Il n'y aura pas de grandes manuvres pour forcer la main à Ottawa. Point de

négociations sur le rapatriement d'impôts ou des changements constitutionnels, comme le

suggère l'Action démocratique du Québec, en s'appuyant sur le renvoi de la Cour suprême

concernant la sécession. "Ce serait largement dilatoire", a-t-il dit.

"Le prochain référendum sur la souveraineté, c'est mon espérance et ma conviction" aura

lieu bien avant 2005, a dit Bernard Landry. Un référendum sur la souveraineté assortie

d'une "offre de construire, avec nos compatriotes du Canada, une union confédérale de

type européen". Pas question toutefois de précipiter ce référendum. "J'ai éliminé [l'idée]

que nous perdions un référendum. Je m'engage auprès de la population à ne pas agir de

façon intempestive avec l'avenir du Québec", a-t-il assuré.