L'avis sur le Kosovo et l'indépendance - Une décision qui n'appartient qu'au Québec
Dans son jugement, la CIJ écarte complètement la pertinence du droit de la Serbie, l'État prédécesseur, qu'il s'agisse de la Constitution ou de toute autre loi ou règle de droit de cet État. Le droit de la Serbie n'est examiné à aucun endroit dans le jugement. Il s'agit d'un précédent majeur pour le Québec, qui écarte tout aussi complètement la pertinence de la Constitution canadienne ou de la Loi sur la clarté dans l'évaluation d'une éventuelle DUI québécoise au regard du droit international.
La CIJ a également écarté la pertinence de l'avis consultatif de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec, rendu en 1998, pour le motif que les questions posées à la Cour suprême étaient de nature différente (par. 55). La Cour suprême avait été priée de dire si le Québec détenait un droit positif qui établissait avant le fait la légalité de sa sécession.
La CIJ a estimé que telle n'était pas la question devant elle. Une DUI peut être légale en droit international, nous dit-elle, qu'elle soit justifiée ou non par le droit interne d'un pays faisant l'objet d'une sécession.
Le raisonnement de la CIJ converge d'ailleurs avec celui de la Cour suprême. Dans son avis sur le Renvoi, celle-ci ne s'est pas contentée de dire que le droit à la sécession d'une province n'est pas prévu dans le cadre du droit canadien, ce qui n'a surpris personne à l'époque. Elle a imposé une obligation de négocier en droit canadien au Canada et au Québec à la suite d'un référendum en faveur de la souveraineté.
Elle a même ajouté qu'à défaut d'une entente le Québec pourrait adopter une DUI qui pourrait être reconnue par d'autres États. Sans le dire ouvertement, la Cour suprême a laissé entendre qu'une telle DUI pourrait être conforme au droit international. Sur ces deux points, qui sont essentiels, les avis de la Cour suprême et ceux de la CIJ sont convergents, ces derniers étant toutefois plus explicites.
Le raisonnement de la CIJ est également proche de celui d'un avis fourni collectivement par cinq juristes réputés à une commission parlementaire spéciale de l'Assemblée nationale qui a siégé en 1991-1992 à la suite du rapport de la commission Bélanger-Campeau. Ces juristes ont conclu à l'unanimité que le Québec pouvait accéder légalement à l'indépendance au regard du droit international et conserver la totalité de son territoire.
Le contexte différent ne change rien
La CIJ consacre de longs développements au contexte factuel propre au cas du Kosovo (par. 58 à 77) qui est évidemment fort différent de celui du Québec. Rien n'indique dans l'avis que la légalité de la DUI soit tributaire de ce contexte.
À la suite de sérieux actes de violence sur le terrain, le Conseil de sécurité, par sa résolution 1244, a suspendu la souveraineté de la Serbie et mis en place un cadre constitutionnel provisoire (par. 61-62). Après quelques années de fonctionnement, des négociations eurent lieu en 2006 et 2007 entre les représentants du Kosovo et la Serbie. L'échec de ces négociations amena l'envoyé spécial de l'ONU à conclure que la seule solution viable était l'indépendance du Kosovo (par. 67 à 69).
La CIJ décida que la DUI ne violait pas la résolution 1244 parce que les membres de l'Assemblée du Kosovo n'agissaient plus en qualité de membres d'une institution provisoire de l'ONU, mais plus fondamentalement en qualité de représentants élus et légitimes du peuple kosovar, hors du cadre juridique temporaire et spécial de l'ONU, mais conformément au cadre plus large du droit international général. Le fait que la résolution 1244 ne prévoit pas la possibilité d'une DUI n'est pas pertinent (par. 114).
Là encore, il s'agit d'un précédent majeur pour le Québec. Si l'Assemblée nationale du Québec devait adopter une DUI, elle aurait par définition l'intention politique d'agir au-delà du cadre fixé par la Constitution canadienne. Même en l'absence d'un cadre constitutionnel provisoire fourni par l'ONU, cette intention serait déterminante. Les faits propres au cas du Kosovo n'ont aucun rapport avec la légalité de la DUI en cette occurrence, ni dans le cas du Québec.
La légalité d'une DUI
La question de la légalité d'une future DUI du Québec est entièrement résolue par le droit international général, dont l'état contemporain est clairement expliqué par la CIJ (par. 79 à 84).
Avant la seconde moitié du XXe siècle, «[l]es déclarations d'indépendance ont été nombreuses [...]. Il ressort clairement de la pratique étatique au cours de cette période que le droit international n'interdisait nullement les déclarations d'indépendance. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le droit international, en matière d'autodétermination, a évolué. [...] Il est toutefois également arrivé que des déclarations d'indépendance soient faites en dehors de ce contexte. La pratique des États dans ces derniers cas ne révèle pas l'apparition, en droit international, d'une nouvelle règle interdisant que de telles déclarations soient faites» (par. 79).
La décision de la CIJ, tout comme celle de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec, de ne pas faire découler la légalité de la DUI du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, simplifie la discussion sur le territoire et ferme la voie aux menaces de partition. Une telle approche est contraire à la pratique internationale contemporaine qui consacre au nouvel État souverain les frontières déjà établies à l'intérieur de l'État prédécesseur.
Par ailleurs, l'illégalité d'une DUI ne peut se déduire du principe de l'intégrité territoriale des États existants. Ce principe s'applique uniquement aux relations interétatiques (par. 80).
L'accession à l'indépendance du Québec ne dépend pas de l'acceptation ou du refus du Canada, contrairement à ce que clament les ténors fédéralistes. Malgré des contextes différents, le cas du Kosovo nous montre qu'une fois épuisée la possibilité d'un divorce à l'amiable, c'est en définitive au peuple concerné et à ses représentants légitimes que revient la décision, unilatérale au besoin, de déclarer son indépendance.
Haut de la page