Washington et la coalition ébranlés par les carnets de guerre afghans
La diffusion de milliers de documents sur Wikileaks montre le vrai visage de la guerre en Afghanistan
Photo : Agence France-Presse Manpreet Romana
Des
soldats de la coalition en patrouille, hier, à Kandahar. Le Pentagone
estime que les documents publiés sur Wikileaks menacent la sécurité des
soldats.
La publication des «carnets de guerre afghans» — des dizaines de
milliers de documents secrets sur la conduite de la guerre en
Afghanistan — a mis, hier, les États-Unis et les pays membres de la
coalition internationale sur la défensive.
La Maison-Blanche a condamné «fermement» la publication de 76 000 rapports confidentiels, mis en ligne dimanche soir sur wikileaks.org, et a, du même souffle, fait valoir qu'elle pourrait mettre des vies en danger.
L'«agence de renseignements» dirigée par Julian Assange a fait savoir qu'elle était en train de passer en revue 15 000 autres documents qui seront diffusés sous peu.
Le Pentagone tentait toujours hier soir d'évaluer les dommages causés par la fuite. Il faudrait à l'armée des jours, voire des semaines, afin de passer en revue tous les documents et déterminer les dommages potentiels qu'ils pourraient causer à la sécurité des soldats de la coalition déployés en Afghanistan, a expliqué le colonel Dave Lapan.
De son côté, la Maison-Blanche s'est défendue d'avoir essayé d'empêcher les médias (The New York Times, The Guardian et Der Spiegel) qui avaient accès aux documents d'écrire sur le contenu de ceux-ci. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, se serait contenté d'exhorter Wikileaks à prendre garde de révéler des informations qui pourraient porter atteinte au personnel militaire américain, et ce, par l'entremise de journalistes qui ont obtenu à l'avance des copies des documents. La décision de Julian Assange de différer la publication de 15 000 de ces documents serait sans doute liée à cette demande.
Interrogé sur la collusion entre des éléments du renseignement pakistanais et les talibans soulignée à grands traits dans les documents, Robert Gibbs a préféré évoquer les progrès selon lui enregistrés avec Islamabad dans le dossier de la lutte contre l'extrémisme. Les pressions américaines ont «amélioré cette relation», même si «personne ne va dire que la mission est accomplie», a-t-il dit.
Le président de la Commission de la défense de la Chambre des représentants, Ike Skelton, a quant à lui jugé les documents sur ce sujet «périmés».
«Notre priorité, c'est de regarder s'il y a des choses là-dedans qui peuvent mettre nos forces en danger», s'est contenté d'affirmer le porte-parole du Pentagone Geoff Morrell. «Mais, de toute évidence, nous voulons savoir qui a fait ça et nous assurer qu'il n'y a pas d'autres choses qui vont être diffusées», a-t-il ajouté.
Le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères, Abdul Basit, a déclaré que «ces informations sont biaisées, tirées par les cheveux, et n'ont évidemment rien à voir avec la réalité».
Le Pentagone a refusé de commenter des faits précis exposés dans les documents, notamment les rapports sur l'utilisation par les talibans de missiles antiaériens à tête chercheuse thermique. Ce n'est pas parce que ces documents ont été mis en ligne sur Internet qu'ils ne sont pas confidentiels, a affirmé Dave Lapan.
La sénatrice démocrate Dianne Feinstein, qui est à la tête de la Commission du renseignement, a réclamé au secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, la mise sur pied d'une «enquête de grande ampleur» sur les fuites. «Ces fuites constituent une atteinte à la sécurité nationale», a-t-elle affirmé.
Les documents pourraient provenir de n'importe quelle personne possédant une cote de sécurité de niveau secret, a expliqué M. Laplan.
Ottawa préoccupé
Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, s'est dit, hier, «préoccupé» par la possibilité que les «fuites» mettent en danger la vie des militaires canadiens en Afghanistan. «Notre gouvernement est bien évidemment préoccupé par le fait que des fuites sur des opérations pourraient menacer la vie de nos hommes et de nos femmes en Afghanistan», a-t-il déclaré.
Le chef de la diplomatie canadienne s'est toutefois refusé à commenter davantage ces documents, affirmant «qu'il s'agit de documents américains qui n'ont rien à voir avec le Canada».
Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, a indiqué que cette fuite souligne «combien il est nécessaire pour le gouvernement conservateur de revoir l'approche maladroite et cachottière qu'il a adoptée» en Afghanistan.
«Depuis le début du conflit, le NPD soutient que la guerre en Afghanistan ne peut être remportée uniquement par des moyens militaires, a-t-il dit. Ces documents révèlent encore une fois le besoin d'une nouvelle attention sur la diplomatie nationale et régionale pour mettre fin à cette guerre.»
Le gouvernement allemand a exigé hier que ces révélations soient «examinées», tandis que Londres espère qu'elles ne vont pas «empoisonner» l'atmosphère en Afghanistan.
Le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, a aussi averti que la diffusion à grande échelle de documents non autorisés ne faisait que commencer.
D'autre part, il a jugé que des «milliers» d'attaques militaires américaines en Afghanistan pourraient faire l'objet d'enquêtes pour crimes de guerre. M. Assange a cité en exemple une frappe balistique meurtrière ordonnée par la force spéciale 373 («Task Force 373»), une unité prétendument chargée de traquer et de tuer de hauts dirigeants talibans.
«Il revient à un tribunal de décider [s'il s'agit de crimes]», a-t-il lancé à des journalistes. Cela dit, «il semble y avoir des preuves de crimes de guerre [dans ces documents].»
Rien de nouveau?
Les dizaines de milliers de documents mis en ligne ne révèlent rien de plus que ce qui avait déjà été écrit sur le conflit afghan, estime l'expert en stratégie Anthony Cordesman, du Centre pour les études internationales et stratégiques (CSIS) de Washington. Selon lui, l'importance de ces documents repose sur l'accumulation de petits détails jusque-là inconnus plutôt que sur la révélation d'un événement de taille. Mais «aucun gouvernement n'aime voir ses secrets être publiés», explique-t-il. Et ces révélations sont surtout explosives dans le sens qu'elles contredisent l'optimisme jusqu'ici affiché par Washington et ses alliés dans ce dossier. «Il est dommageable qu'en essayant de contrôler le message, le résultat ait été de déformer le message pour constamment essayer de créer un climat d'optimisme et de succès. [Aucun État ayant envoyé des forces armées en Afghanistan] n'a fourni d'informations claires sur ce qui se passe vraiment dans cette guerre», conclut-il.
***
Avec La Presse canadienne, l'AP et l'AFP
La Maison-Blanche a condamné «fermement» la publication de 76 000 rapports confidentiels, mis en ligne dimanche soir sur wikileaks.org, et a, du même souffle, fait valoir qu'elle pourrait mettre des vies en danger.
L'«agence de renseignements» dirigée par Julian Assange a fait savoir qu'elle était en train de passer en revue 15 000 autres documents qui seront diffusés sous peu.
Le Pentagone tentait toujours hier soir d'évaluer les dommages causés par la fuite. Il faudrait à l'armée des jours, voire des semaines, afin de passer en revue tous les documents et déterminer les dommages potentiels qu'ils pourraient causer à la sécurité des soldats de la coalition déployés en Afghanistan, a expliqué le colonel Dave Lapan.
De son côté, la Maison-Blanche s'est défendue d'avoir essayé d'empêcher les médias (The New York Times, The Guardian et Der Spiegel) qui avaient accès aux documents d'écrire sur le contenu de ceux-ci. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, se serait contenté d'exhorter Wikileaks à prendre garde de révéler des informations qui pourraient porter atteinte au personnel militaire américain, et ce, par l'entremise de journalistes qui ont obtenu à l'avance des copies des documents. La décision de Julian Assange de différer la publication de 15 000 de ces documents serait sans doute liée à cette demande.
Interrogé sur la collusion entre des éléments du renseignement pakistanais et les talibans soulignée à grands traits dans les documents, Robert Gibbs a préféré évoquer les progrès selon lui enregistrés avec Islamabad dans le dossier de la lutte contre l'extrémisme. Les pressions américaines ont «amélioré cette relation», même si «personne ne va dire que la mission est accomplie», a-t-il dit.
Le président de la Commission de la défense de la Chambre des représentants, Ike Skelton, a quant à lui jugé les documents sur ce sujet «périmés».
«Notre priorité, c'est de regarder s'il y a des choses là-dedans qui peuvent mettre nos forces en danger», s'est contenté d'affirmer le porte-parole du Pentagone Geoff Morrell. «Mais, de toute évidence, nous voulons savoir qui a fait ça et nous assurer qu'il n'y a pas d'autres choses qui vont être diffusées», a-t-il ajouté.
Le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères, Abdul Basit, a déclaré que «ces informations sont biaisées, tirées par les cheveux, et n'ont évidemment rien à voir avec la réalité».
Le Pentagone a refusé de commenter des faits précis exposés dans les documents, notamment les rapports sur l'utilisation par les talibans de missiles antiaériens à tête chercheuse thermique. Ce n'est pas parce que ces documents ont été mis en ligne sur Internet qu'ils ne sont pas confidentiels, a affirmé Dave Lapan.
La sénatrice démocrate Dianne Feinstein, qui est à la tête de la Commission du renseignement, a réclamé au secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, la mise sur pied d'une «enquête de grande ampleur» sur les fuites. «Ces fuites constituent une atteinte à la sécurité nationale», a-t-elle affirmé.
Les documents pourraient provenir de n'importe quelle personne possédant une cote de sécurité de niveau secret, a expliqué M. Laplan.
Ottawa préoccupé
Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, s'est dit, hier, «préoccupé» par la possibilité que les «fuites» mettent en danger la vie des militaires canadiens en Afghanistan. «Notre gouvernement est bien évidemment préoccupé par le fait que des fuites sur des opérations pourraient menacer la vie de nos hommes et de nos femmes en Afghanistan», a-t-il déclaré.
Le chef de la diplomatie canadienne s'est toutefois refusé à commenter davantage ces documents, affirmant «qu'il s'agit de documents américains qui n'ont rien à voir avec le Canada».
Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, a indiqué que cette fuite souligne «combien il est nécessaire pour le gouvernement conservateur de revoir l'approche maladroite et cachottière qu'il a adoptée» en Afghanistan.
«Depuis le début du conflit, le NPD soutient que la guerre en Afghanistan ne peut être remportée uniquement par des moyens militaires, a-t-il dit. Ces documents révèlent encore une fois le besoin d'une nouvelle attention sur la diplomatie nationale et régionale pour mettre fin à cette guerre.»
Le gouvernement allemand a exigé hier que ces révélations soient «examinées», tandis que Londres espère qu'elles ne vont pas «empoisonner» l'atmosphère en Afghanistan.
Le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, a aussi averti que la diffusion à grande échelle de documents non autorisés ne faisait que commencer.
D'autre part, il a jugé que des «milliers» d'attaques militaires américaines en Afghanistan pourraient faire l'objet d'enquêtes pour crimes de guerre. M. Assange a cité en exemple une frappe balistique meurtrière ordonnée par la force spéciale 373 («Task Force 373»), une unité prétendument chargée de traquer et de tuer de hauts dirigeants talibans.
«Il revient à un tribunal de décider [s'il s'agit de crimes]», a-t-il lancé à des journalistes. Cela dit, «il semble y avoir des preuves de crimes de guerre [dans ces documents].»
Rien de nouveau?
Les dizaines de milliers de documents mis en ligne ne révèlent rien de plus que ce qui avait déjà été écrit sur le conflit afghan, estime l'expert en stratégie Anthony Cordesman, du Centre pour les études internationales et stratégiques (CSIS) de Washington. Selon lui, l'importance de ces documents repose sur l'accumulation de petits détails jusque-là inconnus plutôt que sur la révélation d'un événement de taille. Mais «aucun gouvernement n'aime voir ses secrets être publiés», explique-t-il. Et ces révélations sont surtout explosives dans le sens qu'elles contredisent l'optimisme jusqu'ici affiché par Washington et ses alliés dans ce dossier. «Il est dommageable qu'en essayant de contrôler le message, le résultat ait été de déformer le message pour constamment essayer de créer un climat d'optimisme et de succès. [Aucun État ayant envoyé des forces armées en Afghanistan] n'a fourni d'informations claires sur ce qui se passe vraiment dans cette guerre», conclut-il.
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Avec La Presse canadienne, l'AP et l'AFP
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