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LISULF
Science et Francophonie
Décembre 2004 No 88
"L'actualité, c'est nous"
Marceau Déchamp, Pierre Demers, DLF,
GEMS, Denis Monière
Science et
Francophonie paraît 4 fois par année sous la responsabilité de la LISULF,
Ligue
internationale des scientifiques pour l’usage de la langue française.
1200, rue
Latour Saint-Laurent (Québec ) H4L 4S4
1 514 747 2308
c3410@er.uqam.ca Notre site : www.lisulf.qc.ca Le rédacteur en chef : Pierre
Demers Dépôt légal BNQ, BNC; France, Belgique. 4e trimestre 2004 INSN.0825.9879
Bureau du
Conseil : Pierre Charlebois, Gabrielle Cloutier, Louis de Kinder,
secrétaire-trésorier, Pierre Demers, président, Christian Pilote, René-Marcel
Sauvé. Paul Rémillard, trésorier sortant. Grammairienne : Gabrielle Cloutier.
Adresse de la
LISULF en France: LISULF a/s Prof. Alain Kreisler, Alain.Kreisler@supelec.fr
147, rue de Silly, 92100 Boulogne, France 33 1 48 25 86 05 Adresse pour tous
pays : c3410@er.uqam.ca
LISULF, 1200,
rue Latour, Saint-Laurent..........H4L 4S4
(Québec)
Ce numéro,
daté de décembre 2004, paraît en octobre 2005. Reproduction permise avec
mention de l'origine. Publication électronique : www.lisulf.qc.ca http://www.lisulf.quebec/lisulf.html
Presses Universitaires de Montréal Édi tions PUM.
PUM 2004
Science et Francophonie No 88
Décembre 2004 Table des matières
•Bureau du Conseil......................................................................
.....1
•Éditorial 1. La langue française
gagne et se défend en appel : Syndicat vs General Electric Medical Section, .......... ...... .. ..2
Pierre Demers
•Éditorial 2. Denis Monière fait
le point sur l'usage scientifique du français,...................................................
.......... ...... ....3
Pierre Demers
•Salariés vs GEMS en Cour de
Versailles, un message de la LISULF, 4
Pierre Demers et Marceau Déchamp,
Défense de la langue française.
•Le scientifique de langue
française une espèce menacée ? 7
Denis Monière, Professeur de
science politique, Université de Montréal
Ce numéro 88 de Science et
Francophonie, daté de décembre 2004, paraît en octobre 2005.
Cotisation 2005, $ Can et Euros
Merci de bien vouloir verser votre cotisation LISULF 2005
si ce n'est pas déjà fait.
25 $ ou 25 Euros, entité morale 200 $ ou 200 Euros
étudiant, 10 $ ou 10 Euros
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Éditorial 1. La langue française gagne et se défend en
justice : Syndicat vs General Electric Medical Section GEMS
Pierre Demers
Enfin, en France, un succès
juridique notoire de la langue française dans un domaine scientifique haut de
gamme : la fabrication de matériel médical tel que celui de l'imagerie
magnétique nucléaire. Les syndiqués de l'industrie sont plus intéressés à la
défense de la langue française que les syndiqués de la recherche, qui ont remué
le ciel et la terre au début de 2004 en clamant sauvez la recherche française,
sans dire un mot de la langue française. Référence SF86.html
Mais la justice est la justice :
elle permet des recours et appels. C'est ainsi que GEMS s'est pourvue en appel
devant la Cour de Versailles. Alertée par la DLF qui suit cette affaire, la
LISULF lance une invitation à tous et à toutes à appuyer la partie syndicale
dont le succès de janvier 2004 est mis en échec. Au moment d'aller sous presse,
l'appel sera entendu en janvier 2006.
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Éditorial 2. Denis Monière fait le point sur l'usage
scientifique du français
Pierre Demers
Denis Monière nous présente une
mise au point fortement documentée sur le sujet.
En ces temps de grandes
préoccupations écologiques, de cataclysmes et de réflexions sur les menaces à
la survivance des pingouins empereurs et de l'humanité même, on est en droit de
s'inquiéter : le français dans les publications primaires n'existe presque
plus, et l'écologie langagière est une forme distinctive de la biologie
humaine. Cette forme est en voie de disparition complète; mériterait-elle
protection? Quelles sont les conséquences déjà apparentes et prévisibles?
Le sujet est disparu des
priorités du Gouvernement du Québec alors qu'en 1980 son Conseil de la langue
française avait réalisé une rencontre mémorable sur l'usage scientifique du
français. Le premier ministre actuel du Québec a d'ailleurs déclaré en 2004 que
la langue des sciences est l'anglais, espéranto moderne des sciences. XXX Serait-il prophète en son pays?
Logiquement, il serait conduit à annoncer un scénario catastrophe à peu près
comme suit.
"Étant réputé pour ses
gestes d'avant-garde en questions linguistiques, le Québec, dans une
perspective visionnaire mondialiste, prendra bientôt l'initiative d'un grand
mouvement pour l'abolition des langues nationales, devenues superflues et
nuisibles, dans la publication scientifique, la recherche et enfin,
l'enseignement des sciences à tous les niveaux à travers le monde. Ce sera le
prélude à l'adoption universelle de l'anglais, seule langue d'usage du monde
civilisé. Les autres langues actuelles devenant des langues mortes pour érudits
attardés".
Et tous les fédéralistes et tous
les mondialistes d'applaudir bien sûr...
XXX ...Est-ce bien vrai? Sinon lui, du moins son ministre
de l'Éducation.
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Salariés vs GEMS en Cour de Versailles, message de la
LISULF
Marceau Déchamp, Pierre Demers
Message circulaire diffusé par courriel le 18 septembre 2005
----------
À
tous, à toutes, le 18 septembre 2005
Nous
vous engageons à témoigner de votre appui à DLF re GEMS par votre présence en
Cour de Versailles le 22 septembre 2005 à 9h et en communiquant avec DLF :
direction@langue-francaise.org
La
cause du français en science, qu'il s'agisse des travailleurs chercheurs ou des
travailleurs salariés d'industrie, c'est tout un, c'est la cause de la LISULF.
La
LISULF par son président
Pierre
Demers
(GEMS
est General Electric Medical section)
(LISULF
est la Ligue internationale des scientifiques pour l'usage de la langue
française)
---------
Documentation reçue de Marcau
Déchamp
From: "DLF 78" < dlf78@club-internet.fr>
To:
<marceau.dechamps@laposte.net> marceau.dechamps@laposte.net
Subject: Appel GEMS
Date: Fri, 16 Sep 2005 09:29:37
+0200
COMMUNIQUÉ
L'affaire GEMS que nous suivons,
oppose les salariés à la direction de cette entreprise américaine installée à
Buc (78) et concerne une infraction à la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi
de la langue française dans le travail.
Un premier jugement favorable aux
salariés a fait l'objet d'un appel par la direction de la GEMS. Cette affaire
sera à nouveau appelée, le 22 septembre à 9 h 00, devant la Cour d'appel de
Versailles, 5, rue Carnot.
Nous demandons à tous ceux qui
peuvent se déplacer de venir, avec nous, soutenir les salariés de la GEMS à
cette audience et manifester ainsi notre révolte contre le banissement de notre
langue dans les entreprises installées sur notre sol national.
Pour ceux de nos adhérents et de
nos sympathisants qui ne peuvent nous rejoindre, du fait de leur éloignement ou
de leur indisponibilité, ce message a valeur d'information. Ils peuvent
témoigner leur soutien à < mailto:direction@langue-francaise
.org le message sera acheminé aux représentants du personnel de la GEMS.
Nous vous copions, ci-dessous, le
communiqué de presse rédigé la section syndicale CGT de la GEMS.
Cordialement à tous.
Marceau Déchamps
vice-président
Défense de langue française
-------
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
L'emploi du français en
entreprise en appel.
Le 11 janvier dernier, le
Tribunal de Grande Instance de Versailles a
donné raison au syndicat CGT, au
Comité d' Entreprise et aux Comités
d'Hygiène, Sécurité et Conditions
de Travail (siège et province) dans le
conflit qui les opposait à la
Direction de la société General Electric
Medical Systems Europe.
Ce conflit portait sur l'
application de l' article L122-39-1 du
Code du Travail qui stipule que
tout document contenant des instructions de travail pour le salarié doit être
rédigé (ou traduit) en français. Il s'agissait, pour les représentants
des salariés, de lutter contre une forme de discrimination qui met sur la
touche tous ceux qui ne dominent pas la langue imposée, les tient à l'écart de
la vie de l'entreprise et peut également servir de prétexte à licenciement.
Ce jugement est une première, une
victoire sans précédent, mais la Direction de GEMS ne désarme pas et a fait
appel du jugement. Grâce à nos propres efforts ainsi qu'à ceux de toutes les
associations qui nous soutiennent pour faire connaître notre action, nous
espérons une forte mobilisation le jeudi 22 septembre prochain à 9 heures à la
cour d'appel de Versailles, 5 rue Carnot.
Notre but, outre de faire
reconnaître le bien-fondé de notre action, est d'obtenir une jurisprudence de
laquelle pourront se prévaloir tous les salariés qui subissent une situation
similaire à la nôtre.
Contacts :
Jocelyne Chabert : 06 84 22 58 04
Sylvie Chartier : 06 83 12 17 14
Syndicat CGT
Au moment d'aller sous presse
: la cause est remise au jeudi 26 janvier 2006.
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Le scientifique de langue française
une espèce menacée ?
Denis Monière
Professeur de science politique
Université de Montréal
La suprématie de l’anglais comme
langue de communication scientifique est quasi unanimement acceptée par les
scientifiques, sauf rares exceptions, comme Charles Durand[1], qui la
contestent avec lucidité et tentent d’en montrer les effets pervers pour le
développement scientifique et la diversité culturelle. Cette assimilation linguistique
de la communauté scientifique est à ce point ancrée dans les consciences que
les gouvernements des pays francophones et les organismes voués à la promotion
de la langue française semblent avoir jeté la serviette et renoncé à contrer le
phénomène. Depuis dix ans ils ne sollicitent plus d’analyses du phénomène, ni
d’avis sur les moyens à prendre pour revaloriser le français. En 1989, le
Conseil de la langue française avait pourtant lancé un cri d’alarme : "
L’usage du français dans les publications scientifiques et techniques continue
à décliner non seulement dans le monde mais également au sein de la
francophonie et même en France " (Le français dans les publications
scientifiques et techniques, Conseil de la langue française 1989) Il semble
bien qu’en ce début de 3e millénaire cette préoccupation ne soit plus à l’ordre
du jour si on en juge par les thèmes de recherche programmés par la Délégation
générale à la langue française qui a déserté cette problématique et s’intéresse
plutôt aux usages du français sur Internet. En mars 2001, l’Institut de la
statistique du Québec a publié dans son bulletin savoir@stat une étude des
publications scientifiques au Québec sans donner d’information sur la langue de
publication. Les organismes publics de promotion et de défense de la langue
française se comportent comme s’il n’y avait pas d’avenir pour le français
comme langue de communication scientifique. Le vent de la résignation a asséché
les bonnes volontés.
Certes, en France, on a légiféré
en 1994 afin d’inciter les universitaires à utiliser le français, mais la loi
n’est pas respectée et les moyens pour la faire respecter sont dérisoires. J’ai
vécu personnellement cette situation de laxisme.
En mars 2002, j’étais invité à
présenter une communication dans un congrès international de statistiques
textuelles, organisé par un comité scientifique français à St Malo. Quel ne fut
pas mon étonnement de recevoir la documentation préparatoire rédigée en
anglais. Quel paradoxe face à l’histoire puisque mes ancêtres avaient quitté la
Bretagne quatre siècles plus tôt pour y découvrir le Nouveau Monde et y
implanter un provignement de la civilisation française qui au prix de dures
luttes a su résister à l’éradication culturelle et à l’uniformisation
linguistique. Or quatre siècles plus tard, je revenais à St Malo et on m’y
accueillait en anglais. J’ai dû rappeler à ces universitaires français que
l’article 6 de la loi 94-665 prévoit que les documents préparatoires à un
colloque ou à un congrès scientifique tenu en France doivent être rédigés en
français. Je me trouvais dans l’étrange situation de devoir dénoncer le
non-respect de la langue française dans un pays comme la France.
A une autre occasion, un de mes
collègues français m’a invité à faire une communication dans un congrès
international de science politique où le français est reconnu comme langue
officielle et qui de surcroît se tenait à Québec. Il a eu l’inconscience de me
demander de faire ma communication en anglais. J’ai dû lui répondre que je
refusais son offre, et comme il tenait à la présence d’un Québécois, il a du
accepter que je fasse ma communication en français. Mais à ce congrès il n’y eu
que 5% des communications qui utilisèrent le français. Nos collègues
politologues français avaient choisi de s’exprimer en anglais pour être compris
de la communauté scientifique mondiale. Un telle désertion justifierait que le
français perde son statut de langue officielle dans les organisations
internationales.
J’évoque ces anecdotes pour
montrer que si une puissance culturelle et scientifique comme la France abdique
devant sa responsabilité de défendre l’usage du français dans le monde
scientifique, il sera bien difficile aux petits peuples de justifier la
pertinence de leur résistance. De plus, comment dans un tel contexte peut-on
espérer que les jeunes des pays dont le français n’est pas la langue maternelle
soient attirés par une langue qui est désertée par les francophones eux-mêmes.
Courte histoire d’une
assimilation linguistique mondiale
Depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, la communautéscientifique mondiale a abandonné les langues nationales
au profit de l’anglais comme unique langue de communication scientifique.
Auparavant les grands savants qui ont fait les contributions les plus
significatives à l’avancement des connaissances comme les Pasteur, les époux
Curie, Poincarré, Enstein travaillaient et exposaient les résultats de leurs
travaux dans leur langue maternelle. La pluralité linguistique n’était pas un
obstacle au progrès des connaissances. Aujourd’hui les élites scientifiques
font la promotion active de la langue unique : l’anglais est devenu la lingua
franca de la science sous prétexte que cette langue permet une plus grande
diffusion du savoir et donne plus d’influence aux travaux scientifiques qui sont
ainsi accessibles à la communauté mondiale des chercheurs. Les sciences ne
connaissent pas de frontières et pour être performants et concurrentiels les
chercheurs doivent prendre rapidement connaissance des travaux les plus avancés
et ils doivent rendre leurs résultats accessibles le plus rapidement au plus
grand nombre pour avoir le crédit de la découverte. Etre génial dans sa langue
et rester ignoré ou publier en anglais et avoir le prix Nobel : tel est selon
Charles Durand,[2] le dilemme des savants qui le tranchent sans état d’âme en
faveur de l’anglais.
Mais ceux qui prétendent qu’il
est indispensable de publier en anglais pour être lu par leurs pairs à travers
le monde sont ou de mauvaise foi ou aiment la plaisanterie car des sociologues
des sciences aussi réputés que Robert Merton estiment que moins de 1% des
articles publiés en chimie ont plus d’un lecteur[3]. D’autres comme Hervé
Penan, Jean-Pierre Courtal et Michel Callon soutiennent que 9 articles sur 10
n’ont aucun lecteur.[4] Qu’importe alors que l’article soit en français, en
anglais ou en une autre langue. Le choix de publier en anglais traduirait-il un
complexe d’infériorité culturel qui cache derrière une apparente rationalité
l’effet d’un snobisme intellectuel par lequel on se donne l’illusion d’être
admis au club de l’excellence mondiale? Ce choix participe plus de la posture
intellectuelle que de la nécessité intrinsèque à l’activité scientifique.
Pourtant, ce qui va de soi aujourd’hui n’était pas vrai hier.
La situation hégémonique de l’anglais
est un phénomène relativement récent comme le montrent les références contenues
dans les articles du Philosophical Transactions publiés par The Royal Society.
Tableau 1 : Langues de
publications 1700-1990
Année Anglais Français Allemand Latin Autre
1700 .......... 29 .......... 13 .......... 0 .......... 60 .......... 7
1750
.......... 33 .......... 4.9 .......... 0 .......... 47 .......... 7
1800
.......... 57 .......... 23 .......... 7 .......... 10 .......... 3
1850
.......... 56 .......... 23 .......... 14 .......... 7 .......... 0
1900
.......... 52 ........,.. 6 ........,.. 41
........,.. 0 .......... 1
1950
.......... 81 ......,.... 7 .............. 8
........... 0 .......... 4
1990
.......... 89 .......... 3 .............. 5
............. 0 ......... 3
Source : Allen, Quinn et
Lancaster, " Persuasive Communities : A Longitudinal Analysis of
References in the Philosophical Transactions of the Royal Society
,1665-1990", Social Studies of Science, 24, 1994, 300
Ce recensement diachronique montre
que les langues nationales, que ce soient le français, l’allemand ou l’anglais
se sont progressivement imposées au détriment du latin et que jusqu’au début du
XX ième siècle le plurilinguisme caractérisait la diffusion du savoir et cela
même dans une revue britannique. Par la suite, elles ont été à leur tour
laminées par l’anglais.
En 1990, 85 % des publications en
sciences naturelles, en génie et en sciences biomédicales étaient en anglais et
fait encore plus significatif , ces publications monopolisaient 97.4%
descitations.
Tableau 2 : Langues des articles
publiés et cités répertoriés par SCI
Langues
................. Articles
............................. Citations
..........
.......... Nombre Pourcentage ........ Nombre Pourcentage
Anglais ..........
759 753 ....... 84.7 ............. 2 841 591
.......... 97.4
Allemand
........ 43 533 ........ 4.9 .................... 27 745
............. 1.0
Français
........... 35 050 ......... 3.9 ................... 17 081
............. 0.6
Russe
................. 30 578 ......... 3.4 ................... 26 284
............ 0.9
Espagnol
............. 7 161 ......... 0.8 ........................ 945 ............... 0
Japonais
.............. 5 743 .......... 0.6 ..................... 2 809
............ 0.1
Source E.Garfield et A.
Welljams-Dorof, " Language Use in the International Research :A Citation
Analysis " Annals of the American Academy of Political and Social
Science,1990 p. 11
Une compilation effectuée en 1993
par Godin et Vallières montre que la production d’articles en français dans les
sciences naturelles, en génie et en sciences biomédicales pour quatre pays de
la francophonie frôle l’insignifiance ou du moins la marginalité: en France
13.3% de la production totale est en français, au Québec 1,9%, en Belgique
2.25%, en Suisse 1.38%.[5] Les auteurs laissent entrevoir une disparition
complète du français dans ces disciplines. Ils expliquent cette abdication par
le faible impact qu’ont les revues de langue française sur l’évolution des
connaissances. Mais, ils relativisent la descente vers le degré zéro en
questionnant l’origine de ces données qui proviennent du Science Citations
Index où le nombre de revues francophones recensées décline : moins il y a de
revue en français moins il y aura d’articles à répertorier. La moitié des
revues et périodiques scientifiques publiés dans le monde sont en anglais et
seulement 7% sont en français. Cette tendance s’accentuera si les revues
scientifiques françaises suivent l’exemple des revues de l’Institut Pasteur et
préfèrent l’anglais au français comme langue de publication. Certaines
conservent un titre français comme la revue d’hématologie mais publient tous
les articles en anglais alors que d’autres ont adopté l’anglais même dans leur
titre comme la Fundamental and Clinical Pharmacology Review. [6]Ces revues ont
même éliminé le français du sommaire, des résumés d’articles et de la rubrique
livres. Le même phénomène s’est produit en Allemagne où une revue comme la
Psychologishe Forshung est devenue en 1975 Psychological Research. En
Allemagne, l’anglais a même acquis le statut de langue officielle de congrès où
il n’y avait aucun participant de pays anglophones. Ces exemples montrent
clairement que l’internationalisation signifie l’anglicisation de la production
scientifique.
Pour avoir une vision moins
catastrophique, il faut se référer à la banque de données du CNRS PASCAL qui
répertorie depuis 1990 la production des sciences pures et médicales, et où on
a recensé 6 millions d’articles publiés dans plus de 4000 titres de
périodiques. En 2003, la répartition des documents analysés selon la langue de
publication était la suivante : anglais, 74%, français 10% russe 7%, allemand,
5% autres 4%. Même si ces résultats sont relativement moins désespérants, il
n’en demeure pas moins que les Sciences Citations index sont utilisés comme
critère d’évaluation de la productivité des chercheurs de langue française par
les universités francophones et que dès lors la reconnaissance scientifique et
professionnelle passe par la publication en anglais pour précisément être
répertoriés là où ça compte.
En fait ce sont les universités,
les centres de recherche et les scientifiques français, québécois et belges qui
acceptent volontairement de se soumettre aux normes d’évaluation et de reconnaissance
des compétences du modèle anglo-américain en adoptant les Citations Index comme
baromètre de la valeur d’un chercheur. En imposant ce modèle unique de gestion
de carrière et de réussite académique, on ne laisse pas d’autre choix aux
scientifiques que de publier en anglais. Dire qu’ils choisissent librement de
le faire relève de l’imposture.
Cette logique structure toute la
chaîne de la production scientifique et entraîne une utilisation de l’anglais
bien en amont de la publication. Les laboratoires de recherche échangent les
prépublications en anglais. Lorsqu’ils invitent des collègues étrangers, les
séminaires se tiennent en anglais sans parler des colloques et congrès
internationaux. Les étudiants sont incités à faire des doctorats sur articles de
telle sorte que les thèses se retrouvent rédigées elles aussi en anglais
puisque les articles le sont. Enfin, les bibliographies sont constituées pour
l’essentiel d’articles en anglais de sorte que plus l’étudiant se spécialise
moins il fait de lectures en français. Des lors, les revues françaises perdent
leur public et sont vouées à la disparition.
Les comités d’évaluation qui
décident de la carrière des professeurs et des subventions de recherche
sélectionnent les meilleurs dossiers en se fiant au nombre de publications dans
les meilleures revues et pour minimiser les effets de subjectivité que peut
impliquer un jugement sur la qualité des recherches effectuées ils se réfèrent
à un instrument qui a les apparences de l’impartialité : les Citations Index.
En somme les scientifiques n’ont pas intérêt à publier en français et ceux qui
continuent à le faire seront marginalisés par leurs propres institutions
francophones.
Cette tendance lourde en sciences
naturelles s’est aussi imposée en sciences sociales et humaines. En raison de
la nature de leur objet qui est plus ancré dans le tissu socio-culturel, les
publications scientifiques dans les domaines des sciences sociales et humaines
donnent malgré tout plus d’importance à la langue nationale, car elles s’adressent
à un marché plus local et moins international que les sciences de la nature. La
publication dans la langue nationale devrait être aussi plus fréquente dans ces
disciplines, car les applications de ces connaissances sont faites par des gens
qui parlent la même langue.
Par rapport à l’ensemble de la
production mondiale répertoriée dans le Social Sciences Citations Index, la
place du français est globalement tout aussi marginale avec 1.3% des articles
publiés répertoriées. Même en isolant la production par pays de la
francophonie, on constate que la production nationale des principaux pays de la
francophonie se fait là encore majoritairement en anglais.
Tableau 3 : Publications en
français en sciences sociales
et humaines dans les pays de la
francophonie 1993
Pays
.......... Nombre total .. Nombre en
français ..Pourcentage (%)
Belgique
.......... 479 .......................... 39 ...................... .......8.14
France
..............1777 ...................... 636 ........................... 35.79
Québec
........... 1232 ....................... 202 ........................... 16.04
Suisse
............... 673 ......................... 33 .............................. 4.90
Source : Godin et Vallières,
op.cit., p. 17.
Ces champs de savoir offrent une
meilleure résistance à la pénétration de l’anglais parce que les revues de
sciences sociales et humaines s’adressent à un marché qui est à la fois
international et national de sorte que l’usage du français est plus fréquent
que dans les sciences naturelles pour communiquer les résultats de la recherche
à un auditoire local. Mais les stratégies de réussite professionnelle et de
reconnaissance des universitaires les poussent à donner malgré tout la priorité
à l’anglais même dans ces domaines.
La base de données
bibliographiques FRANCIS du CNRS recense la littérature mondiale en sciences
humaines et sociales et contient à ce jour 2.5 millions de références. Les
articles répertoriés proviennent principalement des pays européens : Europe de
l’Ouest : 39%, France :28%, Etats-Unis :17% autres pays :16%. Cette répartition
des sources explique la répartition linguistique des textes : anglais 41%,
français 31% allemand 11%, italien 5% espagnol 4%, autres 8%.
L’utilisation du français en
sciences sociales est moins réduite à la portion congrue qu’en sciences
naturelles car on diffuse le savoir non seulement par les revues scientifiques
mais aussi par le livre. Comme le marché est essentiellement national c’est le
français qui prédomine largement ce secteur de l’édition scientifique.
Laisser faire ou agir
Les organismes voués à la
promotion de la langue française et les diverses instances gouvernementales des
pays de la francophonie ont adopté une stratégie molle pour contrer le déclin
du français dans les publications scientifiques. Au nom du principe de la
liberté académique qui est une condition de la découverte et de l’avancement
des connaissances, on s’est refusé à contraindre les individus à choisir une
langue de publication.
Comme si la promotion du français
était une pratique honteuse, on s’est caché derrière la promotion du
plurilinguisme dans les sciences. Ainsi on acceptait implicitement que les
scientifiques continuent à publier principalement en anglais en les incitant
toutefois à accompagner les textes anglais de résumé en français. Cette
position fut adoptée par le Conseil de la langue française du Québec. On incita
aussi les revues scientifiques francophones à se regrouper pour être de
meilleure qualité. On donna des soutiens à la création de revues
internationales en français comme Médecine Sciences en postulant que le
problème était le manque de grandes revues de langue française . Mais ces
revues végètent et n’ont pas réussi à s’imposer. Enfin on encourage la tenue de
colloques en français.
En France, la loi Toubon adoptée
en 1994 est tout aussi incitative et peu contraignante. Comme on l’a vu
précédemment, elle exige la mise à disposition de documents en français
lorsqu’un colloque est organisé en France. Elle impose aux revues éditées en France
et qui jouissent d’un financement public de publier un résumé en français des
articles en d’autres langues. L’article 11 exige que le français soit la langue
d’enseignement à l’Université. Mais cette loi n’a aucune dent, car il n’y a
aucun mécanisme effectif de surveillance et de sanction à tel point que les
cours et les programmes en anglais se multiplient dans les murs de l’université
française.
En Belgique, l’avis émis par le
Conseil supérieur de la langue française en 1995 se contente de proposer une
action de sensibilisation des scientifiques à la nécessité d’employer leur
langue en soulignant les risques d’appauvrissement lexical du français
scientifique si l’anglais se généralise au corpus scientifique.
Le bilan de cette stratégie de
persuasion faite de mesures incitatives et d’encouragements est pour le moins
déprimant, car le volontariat n’a pas réussi à enrayer le déclin du français.
Même les acteurs institutionnels de la francophonie préfèrent ignorer le
problème et n’osent plus débattre de la question. On fait comme s’il était trop
tard, comme si cette tendance était inéluctable et irréversible. On préfère
dégarnir ce front et détourner les énergies vers d’autres enjeux comme la place
du français dans le cyberespace.
Mais la liberté ne peut jamais
être un absolu et s’accompagne toujours de responsabilités. Il y a par exemple
des contraintes morales, sociales et économiques qui restreignent la liberté
des chercheurs. Il n’y aurait pas de recherche possible aujourd’hui sans le
financement public et comble du paradoxe, c’est ce financement public qui
permet la publication d’articles dans des revues scientifiques qui sont
publiées par des entreprises à but lucratif (44% du marché des revues
dominantes en sciences naturelles et 50% du marché en sciences sociales)[7]. De
même, la société ne peut laisser le chercheur entièrement libre du choix de ses
projets de recherche. L’Etat intervient en imposant des restrictions à certains
travaux qui iraient contre l’éthique ou en définissant des orientations correspondant
à des besoins stratégiques. Les débats entourant la recherche sur le clonage
humain sont une illustration de ces restrictions à la liberté des chercheurs.
Dès lors, l’usage de la langue
française dans un secteur aussi stratégique que celui des sciences qui commande
le progrès économique et technologique ne devrait-il pas commander des
interventions plus fermes pour donner au français une plus grande visibilité
dans le monde scientifique ? Il ne s’agit pas d’empêcher les chercheurs de
publier dans la langue de leur choix, mais de ne pas pénaliser ceux qui
choisissent de publier en français afin de redonner plus d’importance, de
visibilité et de prestige à la communication scientifique en français.
Une langue a-t-elle un avenir si
la société ne la valorise pas et ne l’utilise plus dans les secteurs
d’activités les plus productifs et innovateurs ? Ne doit-il pas y avoir un
équilibre entre choix individuel et besoin collectif ? Les savants font partie
de la cité et doivent être plus attentifs aux effets socio-culturels de leurs
choix. Puisque les universités et les laboratoires de recherche n’existeraient
pas sans l’apport de fonds publics, ils ont une dette envers la société et
devraient être obligés de contribuer à la préservation du français comme langue
de communication scientifique. Comme ce sont les critères de promotion et
d’évaluation des chercheurs et des laboratoires qui les poussent à publier en
anglais, ne faudrait-il pas ajouter des critères socio-culturels comme
l’obligation pour obtenir une promotion ou une subvention de publier
régulièrement en français ce qui serait une contribution au rayonnement du
français ? Cette politique est appliquée au Japon et de toute évidence elle ne
nuit nullement à la qualité et à la diffusion de la production scientifique
japonaise.
[1] Charles Durand, La mise en
place des monopoles du savoir, Paris, L’Harmattan, 2001.
[2] Ibid p.17.
[3] The Sociology of Science,
Carbondale, Southern Illinois University Press, 1979.
[4] La scientométrie, Paris, Que
sais-je ? 1993.
[5] B.Godin et F Vallières,
" Endangered Species " : une nouvelle estimation de la part du
français dans les communications scientifiques ", Québec, Conseil de la
langue française, déc. 1995p. 10
[6] Voir l’avis du Conseil
supérieur de la langue française, http://www.cslf.gouv.qc.ca/Publications/AVIS115/A115.htm
[7] Voir Gérard Boismenu et
Guylaine Beaudry, Le nouveau monde numérique, Montréal, Presses de l’Université
de Montréal, 2002, p. 32.
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Ernest Parent
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OLF
Office de la langue française
(Québec)
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PUM
Éditions PUM
Presses Universitaires de Montréal
Éditeurs de Science et Francophonie
depuis 1983
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Québécium International
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30
Le premier ministre actuel du Québec a d'ailleurs déclaré en 2004 que la langue des sciences est l'anglais, espéranto moderne des sciences. Serait-il prophète en son pays? Logiquement, il serait conduit à annoncer un scénario catastrophe à peu près comme suit.
¿
"Étant réputé pour ses gestes d'avant-garde en questions
linguistiques, le Québec, dans une perspective visionnaire mondialiste, prendra
bientôt l'initiative d'un grand mouvement pour l'abolition des langues
nationales, devenues superflues et nuisibles, dans la publication scientifique,
la recherche et enfin, l'enseignement des sciences à tous les niveaux à travers
le monde. Ce sera le prélude à l'adoption universelle de l'anglais, seule
langue d'usage du monde civilisé. Les autres langues actuelles devenant des
langues mortes pour érudits attardés".
?
Et tous les fédéralistes et tous les mondialistes d'applaudir
bien sûr.